Allons qui connaît encore Eugène Briffault, ce journaliste et critique gastronomique, né en 1799 et mort au début du Second Empire en 1854. Il a laissé sur le Paris de Louis-Philippe, des témoignages sur la vie parisienne, enlevés et piquants, sur la vie parisienne comme Paris à Table (réédité en 2003 par Le Mercure de France), Paris aujourd’hui ou encore La Toilette, almanach des femmes pour 1843.

J’ai choisi, pour vous le faire découvrir, Paris dans l’eau, un petit bijou qui montre à quel point les politiques, qui aujourd’hui crient au progrès avec leur Paris Plage ou leur projet de baignade dans la Seine, semblent méconnaître l’histoire de Paris et de son fleuve.

Eugène Briffault 1799-1854
Publié en 1844

Comme toujours, notre époque s’imagine avoir tout inventé et ne peut croire un seul instant que des enfants, des étudiants, des hommes de toutes conditions et aussi des femmes allaient s’ébrouer dans des piscines dès la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe. Paris est intimement lié à la Seine, sa devise en témoigne clairement : Fluctuat nec mergitur. Dès l’Antiquité, Paris s’est développé grâce à son commerce fluvial, et sa devise ainsi que son blason sont bien ceux des Nautes (corporation des armateurs mariniers et commerçants).

La vie sur les berges de la Seine est essentielle, jusqu’au XXe siècle d’ailleurs, c’est pourquoi Briffault engage son petit ouvrage avec l’énumération de tous ceux que l’on trouvait, à son époque aux alentours du fleuve :

La vie aux abords de la Seine devait être fort sympathique avec les bastringues (bal musette), les guinguettes dans lesquelles on servait de la matelote et de la friture : tous les gastronomes s’accordaient pour dire que les carpes et le poisson en général venu de la Seine était un délice, on le lit dans de nombreux ouvrages traitant de la cuisine, des dîners, des aliments … Il faut rappeler qu’Antonin Carême, lui-même, créa, pour les perches de la Seine, une recette qu’il nomma du nom de son médecin Gaubert.

Les mariniers, les blanchisseuses, les tireurs de sable, les débardeurs, les déchireurs de bateaux, les bateliers, les chantiers de construction, les pêcheurs et les pêcheurs à la ligne (sans oublier les braconniers pêcheurs) qui trouvaient leur matériel chez les marchands du Quai de la Mégisserie appartenaient aussi aux rivoyeurs..

De jolies fabriques, aussi, s’étaient installées comme le Moulin à broyer les couleurs, et bien avant les batobus sortis du cerveau d’un obscur fonctionnaire municipal des services de tourisme de la ville de Paris, les bateaux à vapeur remplaçaient avantageusement le coche. Et toute cette vie ne pouvait qu’attirer ceux qui voulaient s’amuser le dimanche, les canotiers. Enfin pour surveiller tout ce petit monde, la Police de la Seine était efficace.

Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les piscines sur la Seine, ce sont les fonctionnements de ces dites piscines. Ah ! Les bobos qui pensent que boire un soda sur une chaise longue à Paris plage sont loin d’imaginer ce que pouvaient offrir certains établissements. mais je vous laisse au plaisir de la lecture de Briffault.

Deligny par Grandville en 1845, soit 41 ans après sa fondation

Briffault soutenait que ces bains à quat’sous, jamais un Parisien ne pouvait les oublier, et en 1896 Richepin leur rend hommage à sa manière dans La Chanson des gueux :

PLEINE EAU

   Les bain’ à quat’ sous,
       Voyez-vous,
Chacun y laiss’ sa trace.
   C’est pas drol’, ma foi,
       Quan’ on boit,
D’ gober un bouillon d’ crasse.
   Ça vous met dans l’ cœur
       Une odeur
Comm’ d’égout collecteur.

 Les bain’ à quat’ sous,
       Voyez-vous,
On n’y trouv’ pas d’ verdure.
   Moi j’aime en plein air,
       Comme un ver,
Êt’ vu par la nature.
   Lorsqu’entre deux eaux
       J’ vas su’ l’ dos,
J’aim’ sentir les roseaux.

   Les bain’ à quat’ sous,
       Voyez-vous,
Ont un fond d’ bois qu’est traître.
   Moi qui prends mon bain
       Chaqu’ matin,
Et qui m’y noy’rai p’t’être,
   J’ veux pour mon sommeil
       L’ fond vermeil
Où qu’ miroite l’ soleil.
       Voyez-vous,
C’est bon pour les gens riches.
   Moi qu’a pas l’ moyen,
       Nom d’un chien !
Qùand j’ veux tremper mes guiches,
   Gratis pro Deo
       Sans bateau
J’ m’en vas faire un’ pleine eau.
   Les bain’ à quat’ sous,
       Voyez-vous,
C’est plein qu’ ça en débonde.
   L’ goujon qu’on y j’tt’rait
       Y crèv’rait.
Gna pas d’eau pour tout l’ monde.
   C’est pour ça qu’ c’est cher :
       On a l’air
D’y nager dans d’ la chair.

Mais revenons à Eugène Briffault qui dans les pages qui suivent détaille non seulement les bienfaits de la natation mais aussi les différentes nages enseignées par les maîtres de nage, les explications sont précises et très détaillées et l’hygiène du nageur.

Un autre chapitre est consacré au maître de nage, personnage extrêmement important dans les piscines :

Vient ensuite la description des écoles de natation : un régal.

Quant à la journée dans une de ces piscine, elle laisse le lecteur, presque nostalgique d’une ambiance depuis longtemps disparue :

Sous Louis-Philippe, la piscine Deligny devint, après son rachat par les frères Burgh, un lieu luxueux et évidemment prisé. Que nos urbanistes municipaux en prennent de la graine :

Mais j’entends déjà les révoltes féministes : « Tout pour les hommes ! Les femmes devaient rester à la maison etc.… » Et bien détrompez-vous, Mesdames : les femmes avaient aussi leurs piscines !

Je laisse vos imaginations faire le reste, à moins que vous ne préfériez lire ce petit bijou que vous trouverez sans problème sur Gallica BNF.

Jacques Martin-Ferrières 1891 – 1972
Piscine Deligny sur la Seine
 ,
1931

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

Une réflexion sur “Paris dans l’eau

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