Mademoiselle Besnard était une vraie demoiselle née à la fin du 19ème siècle. Elle habitait au 6ème étage d’un immeuble parisien. La porte s’ouvrait sur deux petites pièces qui sentaient bon la cuisine mijotée et les biscuits gardés dans une boite en fer. Tout évoquait un monde révolu : le papier peint à ramage marron, les cadres ovales, les figurines en faïence, la Singer à pédale. Mademoiselle Besnard, coiffée de son éternel petit chignon blanc, courbée sur sa machine, fabriquait de petits cols blancs. Je l’aidais en les posant bien proprement sur le guéridon réservé à cet effet et même plus tard je les retournais, car ils étaient cousus sur l’envers, et méticuleusement je faisais ressortir les coins. Quel plaisir je prenais à exécuter ce petit travail d’enfant ! Mademoiselle Besnard reproduisait avec moi ce qu’elle avait vécu enfant auprès de sa mère. Et tous les jours je réclamais mon heure ou mes deux heures chez cette douce demoiselle. Je me souviens de sa fenêtre ouverte toute grande sur le ciel bleu où trottinaient quelques nuages : « Regarde, petite le cheval qui court après le petit chien, et là tu vois … » commençaient alors les belles histoires et de ce jour le ciel n’a jamais plus été le même : elle m’en a donné toute la magie.
Elle me racontait sa vie de petite fille, son père et la Grande Guerre. Ses paroles se sont envolées, elle m’a fait don de la nostalgie de son enfance, de sa jeunesse et de son amour défunt. Puis un jour est arrivée une dame, une religieuse partie de son couvent, elle était mariée et mère de deux beaux enfants blonds : c’était Madame Ledeuil. Elle habitait l’appartement face à celui de Mademoiselle Besnard. Et cette vieille demoiselle n’avait pas de famille, alors Madame Ledeuil l’invitait de plus en plus souvent, lui faisant boire un petit verre : un petit remontant n’a jamais fait de mal à personne et Mademoiselle Besnard vieillissait, perdait doucement la tête et l’on m’interdit de monter la voir. Un jour Mademoiselle Besnard partit à l’hôpital : Madame Ledeuil s’était occupée de tout : Mademoiselle Besnard perdait la tête vous comprenez, cela devenait dangereux, imaginez qu’elle mette le feu ! Je n’ai plus jamais revu ma chère vieille demoiselle aux cheveux blancs : mais un jour, son appartement fut vendu et Madame Ledeuil a déménagé dans un autre quartier pour un appartement beaucoup plus confortable.
Tous droits réservés : Jeanne Bourcier