En 1826, dans un ouvrage intitulé Vie publique et privée des Français l’on pouvait lire la description des guinguettes situées aux barrière de Paris : « Il arrive cependant quelquefois que trois ou quatre artisans, qui souvent lisent et pensent, s’entretiennent de politique; mais c’est sans esprit de parti et avec un bon sens, une bonhomie, et des expressions dont bien des journalistes pourraient faire leur profit. C’est un spectacle vraiment curieux que celui de la Courtille dans la soirée d’un beau dimanche de printemps ou de l’été. Tout est confondu dans la rue jusqu’auprès de l’entrée du bourg. Ouvriers, bourgeois, militaires, hommes décorés, femmes en bonnet, femmes en chapeau, marchands de fruits, de petits pains, tout circule, tout monte ou descend confusément, sans se presser, sans se heurter, et chacun cherche, sans être troublé, l’enseigne de la guinguette où l’on vend du bon petit vin à dix ou douze sous le litre, ou quinze sous la bouteille ; du bon veau, de l’excellente gibelotte de lapin, de l’oie, soit en daube, soit rôtie. »

Guinguette

140 ans plus tard c’était ce même esprit qui pétillait dans les cafés parisiens, la mode et les habitudes alimentaires n’étaient certes plus les mêmes et il est évident que l’on ne servait pas de gibelotte à St Germain des Prés ou sur l’Île Saint-Louis lorsque le soir, après dîner, mes parents nous emmenaient manger une glace sur une de ces terrasses parisiennes. D’ailleurs les guinguettes étaient restées en dehors de Paris et principalement au bord de l’eau comme le chante Gabin dans La Belle Equipe de Julien Duvivier.

Aujourd’hui, je regarde tristement les terrasses des cafés, étalages prétentieux de la boboïtude. Étrangement je me sens plus proche des Parisiens du 19è siècle que de ceux qui m’entourent, ils m’ennuient. J’ai la désagréable sensation d’être figurante dans une de ces comédies dans lesquelles évoluent, comme des poissons dans l’eau, Vincent Elbaz, Romain Duris, Stéphane Freiss, Sandrine Kimberlain et les autres… En effet la nouvelle comédie française qui déverse sur les écrans ces romances sirupeuses dignes des romans de gare est une source d’inspiration pour ces nouveaux Parisiens ou bien est-ce le contraire ? Les protagonistes de ces niaiseries vivent dans des appartements somptueux, roulent dans des voitures luxueuses, ne se retrouvent jamais coincés dans un embouteillage et dégotent toujours une place de parking devant leur immeuble, ils travaillent peu, partent en weekend ou en vacances dans les endroits les plus onéreux et quand ils veulent : la vie rêvée, la vie des riches oisifs du 19è siècle, c’est A la recherche du temps perdu pour parvenus. Les Bobos donnent l’illusion de vivre sur ce modèle. Ces Charles Haas de pacotille envahissent peu à peu tous les quartiers, chassent les derniers habitants, imposent leur façon de penser, de parler : tous sur le même modèle, conformisme obligatoire pour tous ! Ils sont heureux de se croire Parisiens, ils se rengorgent comme ces malheureux pigeons dont ils réclament l’expulsion. Ils détruisent pour mieux faire vivre ce qu’ils croient être le « vieux Paris ». Ainsi depuis plus de 60 ans, au coin de la rue de Paradis et du Faubourg Saint-Denis, le Londrès était le rendez-vous de tous les commerçants, artisans, ouvriers, quidam du quartier. Le matin, au comptoir, c’était le p’tit noir accompagné du calva pour certains, des croissants pour d’autres, le midi c’était la brasserie, grouillante, bruyante et suante, résonnant des vociférations du patron, des appels des clients, du zèle bruyant des garçons et le soir voyait les habitués venir terminer leur journée par un petit remontant. Aujourd’hui les Bobos l’ont transformée en un café feutré, un tantinet élégant, tout y est comme il faut et tout y est froid : le comptoir, les tables, les chaises, les tabourets et les garçons, fini le PMU, finie la gaudriole, fini le tintamarre des coups de bourre, ils en ont fait un décor. Ah ! les décors : au cinéma, ils mettent un filtre jaune sur l’objectif de la caméra pour donner « l’ambiance de l’époque » (Tiens je ne me souviens pas avoir vécu dans du jaune !), mais il est difficile de mettre un filtre sur Paris c’est pourquoi les cafés se donnent des airs d’ancien avec des comptoirs à l’ancienne, des chaises à l’ancienne, des tables à l’ancienne, des musiques à la mode… Ces commerçants improvisés retapent des boutiques style épicerie, charcuterie, boucherie, crèmerie, avec petits paniers, paille, carrelages vieillots, objets désuets et tout le toutim, ils vont jusqu’à porter le tablier bleu des commerçants de mon enfance.., tout est bien pensé, propret, ridicule à force de vouloir faire comme si. Mais non, nous ne vivions pas dans un magazine et encore moins dans un monde idéal. Non, les règles de l’hygiène dictées par l’Union Européenne n’existaient pas et les rats couraient dans les Halles et dans les commerces la propreté n’était pas toujours au rendez-vous. Les Bobos n’auraient jamais pu manger la viande des boucheries Bernard, et la cuisine de la charcutière du coin leur aurait donné des nausées. Moi, j’aimais ce monde, j’aimais ces odeurs qui m’accompagnaient sur mon trajet d’écolière, j’aimais éviter les Forts qui portaient sur leur dos les gros quartiers sanguinolents de bœuf sans se soucier de leur tablier blanc maculé de sang et de tâches indéterminées et de leur calot sale, j’enjambais les ruisseaux malodorants nés des étals des poissonniers et j’étais heureuse dans mon quartier où les commerçants ne se préoccupaient pas de leur apparence mais prenaient le temps de sourire à une petite fille folâtre. Morts les Titis, les Forts des Halles, les marchandes de quatre saisons, les commerçants gouailleurs et les fillettes sautillant au milieu des cageots empilés. Morts et pourtant toujours si vivants : « Revenu dans sa tranchée, Alain s’arrête : sur le parapet, quelqu’un a planté une baïonnette, et emmanché dessus, en champignon, un long crâne blanc qui rit à la lune. Sur l’os frontal deux mots sont tracés au crayon-encre : Vive Paname ! »*

Vive Paname Dessin original de Thomas Sabourin Collection Privée

* La guerre à vingt ans de Philippe Barrès Plon 1924, p.139.

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

3 réflexions sur “Nostalgie

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