L’idée que les animaux haïssent l’homme n’est pas réservée aux écolos du XXIe siècle. Encore une fois le XIXe siècle n’est pas en reste et il suffit de lire Fable de Lucie Delarue-Mardrus pour s’en convaincre. Mais sont-ils nombreux ceux qui se souviennent de cette poétesse, sculptrice, écrivain, journaliste, historienne ? La présentation dans le livre d’André Fage est un résumé succinct de la vie de cette femme. Il passe sous silence sa bisexualité, sa relation avec Natalie Clifford Barney, l’admiration folle de son mari pour sa beauté au point que ne voulant pas déformer sa déesse, il proposa à Natalie de lui faire un enfant, on dirait aujourd’hui être mère porteuse. Le concept n’est donc pas nouveau, encore une fois ! Natalie évoque tout cela dans ses Souvenirs indiscrets.

Anthologie des conteurs d’aujourd’hui (1936) est un véritable trésor. En effet, André Fage, journaliste, poète, historien, homme de lettres eut l’idée de demander aux auteurs qu’il mentionnait, d’écrire un petit texte pour son anthologie. Et donc Lucie Delarue-Mardrus, qui devait mourir en 1945, s’exécute avec plaisir, émue de donner un texte inédit.

Ce texte s’intitule Fable, c’est un clin d’œil en prose aux Animaux malades de la peste de La Fontaine, fable que je partage pour les mémoires défaillantes :
Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie ; Nul mets n'excitait leur envie ; Ni Loups ni Renards n'épiaient La douce et l'innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements : Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le Berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter selon toute justice Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur En les croquant beaucoup d'honneur. Et quant au Berger l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Fables, Livre VII, 1

Et maintenant Fable :




Voilà un texte (malgré l’intervention du chat que je réprouve, évidemment !) sur lequel nos écologistes, vegans, spécistes et autres dénominations sophistiquées devraient réfléchir ! Leurs ouvrages, revues, fascicules, sites, dont les médias nous abreuvent quotidiennement, y gagneraient en modestie, en intelligence, en humour …et donc en efficacité.
Tous réservés : Jeanne Bourcier
Excellente chronique Merci.
…
…
Marc Angenot msrc. D.Phil. D. Litt. Prof émérite. Chaire James McGill d’étude du discours social McGill University
Si ti sabir
Ti réspondir
Si non sabir
Tazir tazir
Molière
J’aimeJ’aime
Monsieur,
Je suis très heureuse de lire ce commentaire de votre part ! C’est un réel encouragement à poursuivre mon travail, et à lire vos ouvrages qui semblent passionnants. Je crois que vous y adoptez une approche des œuvres bien peu valorisée à l’université, et dans laquelle je me reconnais pleinement.
Merci pour cet encouragement,
J’aimeJ’aime
Je vous remercie et je vous signale mon site marcangenot.com
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup.
J’aimeJ’aime