Maurice Talmeyr (1850-1931) est connu pour ses chroniques sociales particulièrement piquantes et même cruelles.
Un petit extrait de cet ouvrage dans lequel on trouve un chapitre sur le jeunisme dans les années 1880 : « Toujours jeunes ».
Aimez – vous les gens toujours jeunes ? Non ? Vous avez raison … Il faut rendre une justice aux vieillards d’aujourd’hui, ils luttent désespérément contre la vieillesse. On ne rencontre plus que des hommes de soixante – dix ans qui s’en croient trente, et des femmes de soixante ans qui s’en croient vingt-cinq Dans les salons , les galanteries s’échangent entre des figures au sourire immobilisé par les exigences du maquillage et du râtelier. On ne voit, se penchant sur les épaules fraîches, que des têtes blanches, chauves ou teintes, qui se sont toutes plaquées une expression comme on se plaque un masque, et gardant chacune, toute la soirée, le même plissement persuasif des yeux, le même éblouissement dans le sourcil, ou la même ironie victorieuse dans la moustache. A chaque pas, dans les rues, les tournures ont vingt ans de moins que les visages. Les grand’mères se mettent des agréments sur la croupe, les grands-pères se mettent le chapeau sur l’oreille . Ah oui ! ils luttent contre la vieillesse, les vieux ! Les mères coupent l’herbe sous le pied de leurs filles , les pères coupent l’herbe sous le pied de leurs fils. Il y a de vieux écrivains, de vieux journalistes, qui ne parlent jamais que de courtisanes; ils ne font plus d’articles, ils ne font plus de livres que sur les courtisanes ! Ils vous attirent dans les embrasures des fenêtres, tout tordus par les remords de leur moelle épinière, pour vous faire, en phrases subtiles, l’éloge du marquis de Sade. Les vieux nous ont assez souvent répété : « il n’y a plus d’enfants », pour que nous leur disions à notre tour : « il n’y a plus de parents ! » Je n’aime pas « l’éternel jeune homme ! » Je n’aime pas « l’éternelle jeune femme ! » Les brillants ne sont pas beaux , quand la sénilité les mouille, quand la cornée en est devenue sanguinolente, sous l’alanguissement des paupières. Quand tu dis à une fille qu’elle est jolie, ta salive coule sur ta rosette, mon général ! Les caresses sont affreuses quand les mains tremblent, les baisers sont hideux quand les dents remuent.

Une réflexion sur “Les Gens pourris”