Attendant l’heure de ma collation de 16h – un yaourt aux fruits et à 0% de matières grasses – indispensable à l’équilibre de mon métabolisme d’obèse, je feuillette négligemment un de ces nombreux magazines féminins spécialement édités pour notre bien-être et notre bien-penser à nous les femmes. Toutes les solutions à nos problèmes psychologiques, physiologiques, esthétiques et pédagogiques, à nos problèmes de femmes mariées, pacsées, concubines, maîtresses, célibataires, divorcées, hétérosexuelles, homosexuelles, à nos problèmes de mères de bébés, de petits, d’ados, d’adultes, en mal d’enfant, en galère d’adoption, à nos problèmes de libido, d’orgasmes, de maris à éjaculation précoce, de maris impuissants ou trop puissants, aux sexes trop petits, trop longs, trop gros, à nos problèmes de femmes trompées ou trompantes. Mais ces magazines nous apportent aussi l’inquiétude de ne pas avoir encore trompé son homme, de ne pas avoir à 50 ans le corps parfait de Demi More, de n’être pas un « couguar », une « it girl », de n’être ni « hype » ni « easy », ni « écolo » ni « hyperactive », de ne pas avoir le look dandy chic, urban chic… Tout cela et toutes ces petites choses auxquelles on ne pense pas et qui sont essentielles à l’équilibre de notre vie, sont – à notre grand soulagement- analysés, disséqués, expliqués, pris en charge par des psychologues, des psychanalystes, des gynécologues, des endocrinologues, des dermatologues, des sexologues, des chirurgiens plasticiens, des coachs, des couturiers, des maquilleurs, des coiffeurs, des esthéticiennes, des nutritionnistes, des informaticiens, et des strip-teaseuses, des péripatéticiennes repenties, des stars du X, des stars tout court, qui toutes nous offrent leurs vies difficiles, parfois exemplaires, pour nous encourager à nous réaliser.

De haute lutte, nous avons arraché le droit de vote, le droit de posséder un chéquier, de travailler, de choisir notre vie sexuelle, d’avorter, d’avoir des enfants lorsqu’on le désirait, le droit d’être autre chose qu’un objet de désir ou de célibat. Flora Tristan, Séverine, Simone, Françoise, les sœurs Goult et les autres se sont sacrifiées pour nous ouvrir le chemin, assumons donc notre indépendance et soyons femmes jusqu’au bout des ongles .

Je tombe, par hasard, sur un article tentateur : « Un joli corps sans gym ni régime » cela m’évitera-t-il les semaines de division, multiplication, pesage, sport pour retrouver un corps de déesse ? Plus mon corps retrouvera sa sensualité ( et donc sa sexualité ) plus mon mari me fera l’amour. En effet, le problème des obèses vient de la couche de graisse enrobant leurs zones érogènes d’où leur difficulté à jouir mais aussi à bouger. Cet article peut certainement sauver un grand nombre de couples en mal de sexe !

Cet article ne s’adresse évidemment qu’aux femmes, c’est notre petit jardin secret que l’on partage seulement avec sa bonne copine. Je suis abasourdie par les miracles accomplis. Tout d’abord les seins sans lesquels une femme n’existe sexuellement pas : il faut impérativement « switcher son bonnet A contre un C » pour que nos seins soient « plus plumpy » et que notre « décolleté soit érotisé ». Pour cela plusieurs solutions : les implants de toutes formes ( il suffit de demander à notre « homme de lit » quelle forme il préfère et l’on est sûre de faire un heureux ! ), les injections d’acide hyaluronique particulièrement réservées aux  « seins un peu vidés qui veulent retrouver un bonnet pulpeux » conseille le Docteur Sarfati qui honnêtement met également en garde sur cette «  technique expérimentale » et sur « la radio-opacité du produit » empêchant ainsi la lecture de mammographie. Tout cela a un coût entre 3000 et 6000 euros. Je regarde mes seins encore pulpeux dans leurs bonnets D, au téléphone mon mari m’a avoué rêver de mon décolleté érotique et je souris.

Viennent ensuite les bras, il est vrai que l’obèse règle le problème en portant été comme hiver des manches assez longues pour cacher le relâchement de ses triceps mais l’électrostimulation, la carboxythérapie, la lipolyse laser ou le lifting sont bien tentants malheureusement les petits inconvénients ( finances, répétitions, injections sans études médicales préalables ) sont plus dissuasifs. Au fil des pages, mon étonnement s’accroît : l’on peut réellement tout refaire ! Nous pouvons toutes être des couguars – femmes à la quarantaine bien sonnée qui vivent avec un homme plus jeune qu’elle – et moi l’obèse, sans aucune communauté de corps ou d’esprit avec Demi Moore, j’appartiens, non sans fierté, à ces privilégiées que beaucoup de congénères envient : mon mari a 35 ans, j’en ai 50 et nous nous aimons depuis 15 ans. Il faudrait que j’apporte mon témoignage !

Taille fine, fessier de rêve, cou parfaitement tendu, peau de pêche pulpeuse, galbe idéal des jambes, hanches de rêve, yeux de biche sans poche, sans pattes d’oies et sans ride du lion sont à notre portée, moyennant certes de gros sacrifices financiers : les études de neuro- psychiatrie de notre petite dernière par exemple ! Mais quelle joie de voir le regard concupiscent d’un beau jeune homme se poser sur soi !

Note : Ce texte fut écrit il y a 10 ans déjà et aujourd’hui de nouvelles technologies, de nouvelles appellations sexuelles sont apparues : je ne suis plus à la page. Mais je crois que le fond de commerce de ces magazines est toujours le même.

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

4 réflexions sur “Les Cougars

  1. Je me régale à vous lire, chère écrivaine qui appelez, sans détours, les choses par leur nom A pas de géant au fil des temps, toutes les générations confondues, d’une plume piquante vous arrivez à dresser, non sans humour( parfois noire(!)), la liste des mille et une préoccupations qui assiègent la gente féminine et en brossez l’historique Un grand merci pour de si admirables récits.

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