Je mange un œuf bio, je déguste ma tranche de jambon bio, je savoure mon beurre bio étalé sur ma tartine de pain bio fait maison tout en buvant un verre d’eau bio : j’ai la sensation d’avoir fait un festin de roi ! Il est simple le festin royal en 2020 ! Ces quelques aliments pouvaient paraître particulièrement goutûs à un Poilu en comparaison à sa ration de singe et à l’eau croupie qu’il avalait assis dans la boue de sa tranchée, mais à nous qui avons à notre disposition tous les aliments nationaux et internationaux dont les normes d’hygiène sont étroitement surveillées par les innombrables agences ministérielles, régionales, départementales, municipales…de contrôle sanitaire !
En 1826, un ouvrier, un petit bourgeois ou n’importe quel pékin se promenant à la Courtille dans le quartier de Belleville pouvait s’offrir un vrai festin de roi : « En entrant dans les grandes guinguettes, on est d’abord frappé de la quantité de ragoûts et de rôtis qui garnissent un long et large comptoir, et de l’activité prodigieuse de plusieurs femmes de service et de deux ou trois cuisiniers ; sous une vaste cheminée, trois ou quatre broches, les unes sur les autres, chargées de dindons, de poulets, de langues de veau, de gigots de mouton, tournent incessamment devant un grand feu dont la chaleur se fait sentir au loin. A quelque distance de là, le vin coule à grands flots de brocs dans les bouteilles, dont une n’est pas plutôt remplie qu’elle est remplacée par une autre. Au milieu de cette affluence d’acheteurs, les personnes qui débitent les comestibles et le vin conservent un sérieux imperturbable, une présence d’esprit comparable à celui d’un bon général d’armée. Aux principaux mets que les guinguettes offrent aux consommateurs, il faut ajouter une entrée de foie de veau, ou un pigeon aux petits pois, ou un ragoût de mouton aux pommes de terre, ou une salade qui nage dans un vinaigre commun et dans une huile peu différente de celle du colza. L’appétit du peuple trouve tout cela fort bon ; et, si la quantité s’y trouve, peu lui importe la qualité. » ( Vie publique et privée des Français 1826)

Vinaigre ordinaire et huile de colza passaient pour des denrées de mauvaise qualité, mais ils étaient bios selon les normes actuelles de nos politiques. Et un ouvrier pouvait s’offrir le dimanche une entrée de foie de veau ! Aujourd’hui ce même foie de veau bio est à 59,90 euros le kilo soit à peut près 400 frs le kilo ! J’imagine mal, en 2020, une guinguette servant en entrée un foie de veau bio et du gigot à 39 euros le kilo, aux travailleurs venus se détendre de leur semaine de labeur ! C’est cela le progrès.
Tous droits réservés : Jeanne Bourcier
C’est un réel bonheur pour moi que la découverte d’une si belle plume qui écrit ce que je pense, alors que je ne saurais le faire avec autant de talent: la sensibilité et l’érudition de l’auteure de ces passionnantes chroniques me vont droit au coeur. Infiniment merci pour tant d’enrichissement et vive l’écriture et l’oeil d’un témoin averti contemporain qui ressent si strictement ce à quoi j’attache tant d’importance. Merci, merci et plus encore pour chaque admirables chroniques
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Je suis bouleversée par tant de compliments. Merci pour vos encouragements et votre enthousiasme.
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