Voisin de la blanchisseuse, en devanture d’un long couloir fermé à la clientèle, la vitrine réfrigérée du tripier du Faubourg Saint-Denis était appétissante. Les petites cervelles joliment alignées dans des plats blancs décorés d’une guirlande de fleurs invitaient la ménagère à s’arrêter et à choisir entre les ris, les amourettes, la fraise, les pieds, les oreilles et tant d’autres denrées que seules des cuisinières aguerries pouvaient rendre savoureuses, pour les cuisinières du tout-venant les foies de génisse, de veau ou d’agneau baignant dans leur sang, attendaient d’être poêlés.

La tripière, toujours tirée à quatre épingles, raide sur son estrade du haut de laquelle elle plongeait dans sa vitrine pour saisir le morceau demandé, aimait dispenser ses conseils culinaires dont le ventre rebondi et les joues replètes de son tripier de mari étaient un éloge tacite. Ce mari goguenard sortait à intervalles réguliers d’une porte située à l’opposé de l’étal, au fond du couloir, pour apporter les réapprovisionnements. Parfois pour du mou, la femme appelait son époux par le petit interphone blanc qui se trouvait à sa droite.

Pourquoi ce couple de tripiers parfaitement insignifiant me fascinait-il ? Leur satisfaction imbécile devait produire sur mon âme d’enfant un questionnement profond sur le bonheur ou peut-être même sur le néant ! Mon orgueil de jolie fillette n’était-il pas flatté de l’admiration qu’il me portait ? Maman avait droit aux compliments les plus divers sur ma petite personne, cela devait sans doute venir du fait que prenant au sérieux mon rôle de petite femme, je m’arrêtais au retour de l’école et que d’un air entendu, je faisais les emplettes demandées par ma mère.

Était-ce ce vide qui en faisait les meilleurs tripiers du quartier et d’ailleurs ? Ma tante, en cuisinière avertie, venait de Versailles spécialement le lundi, jour de livraison, pour acheter la triperie dont elle avait besoin et Maman devait pendant plusieurs jours endurer le récit détaillé de la confection des plats goûteux que ma tante avait réalisés avec cette merveilleuse triperie.

Cette triperie marquait pour l’écolière que j’étais, la moitié du chemin qu’il me restait à parcourir jusqu’à mon immeuble, lorsque les soirs d’hiver, frigorifiée je me hâtais de rentrer, attristée par l’ambiance lourde des tristes lundis du faubourg. Elle était, avec la boucherie chevaline, sur le trajet de l’école, la seule source de chaude lumière du premier jour de la semaine.  Dans ma mémoire reste le sourire matinal que m’adressait cette tripière lorsque mon cartable sur le dos, je me rendais dans mon école de la rue de Metz

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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