Voici un extrait d’un article de Zola sur les femmes : Types de femmes en France écrit en 1878 pour Le Messager de l’Europe, revue mensuelle paraissant à St Pétersbourg. J’ai choisi de partager son regard sur le monde ouvrier. Cela ne fait que confirmer ce que disait ma grand-mère, ouvrière, fille d’ouvriers, petite-fille d’ouvriers … à savoir que Zola était méprisant et vulgaire, qu’il donnait des ouvriers et des ouvrières, en particulier, une image vicieuse qui n’était autre que celle de ses fantasmes et de sa perversité sexuelle refoulée. On lira dans le texte ci-dessous, ce qu’il voit surtout chez la femme du peuple : sa sexualité qu’il imagine débridée et vicieuse. C’est certainement cette idée qui lui fera faire deux enfants à sa domestique. Mais je laisse la parole à l’auteur panthéonisé par la bourgeoisie bien-pensante de gauche.

« Passons maintenant à l’ouvrière des villes. Tout change cette fois-ci. Nous avons toujours affaire à une classe d’illettrés, mais nous trouvons déjà une première manifestation de la toute-puissance de la femme.

L’ouvrière peut naître d’un mariage, ou d’une liaison fortuite. Dans le monde tourbillonnant des travailleurs parisiens, il y aune grande quantité de filles illégitimes. D’ailleurs, que le père et la mère soient mariés ou cohabitent simplement sous un même toit ne change rien au sort de la petite fille. On peut compter sur les doigts les familles honnêtes, élevant bien leurs enfants. Presque toujours, la fillette grandit sans surveillance, et cela s’explique par les conditions mêmes de la vie des ouvriers. Le père s’en va au travail; la mère travaille aussi de son côté, ou s’occupe du ménage. Pendant ce temps, la fillette est livrée à ses instincts. Il faut connaître, pour comprendre cela, ces quartiers surpeuplés, avec leurs grands pâtés de maisons qu’habitent deux ou trois cents familles. Les logis y sont étroits, sales et fétides. On y vit à porte ouverte, séparés des voisins par des cloisons si minces qu’on entend le moindre frôlement.

Souvent, dans les familles nombreuses, filles et garçons dorment ensemble. C’est pourquoi on peut imaginer quel heureux naturel ou quelle force de volonté doit avoir l’ouvrière, pour sortir pure de ce milieu.

Il arrive au nourrisson de crier des heures entières dans son berceau, pendant que la mère vaque à ses occupations. On la bat pour la faire taire. L’air vicié qu’elle respire la rend fluette et pâle, telle une plante qui a poussé à l’ombre. Dès qu’elle sait se traîner à terre, on la rencontre partout, sur le palier, dans l’escalier, même dans la cour. Elle n’a pas deux ans que la rue l’attire déjà. Son plus grand plaisir est de se salir dans les flaques d’eau. Elle devient coquine et participe aux polissonneries des gamins des rues. II est vrai que ses parents la corrigent à coups de taloches, pour lui apprendre la modestie. Mais à peine une heure plus tard, la mère elle-même l’envoie dans la rue faire une commission. Il faut bien qu’elle serve à quelque chose. Chaque fois que la mère d’acheter du sel, du beurre ou du tabac, on envoie la petite fille. Celle-ci sortira dans la rue quinze à vingt fois par jour et ces allées et venues lui plaisent énormément, car elle traîne les trottoirs. On peut imaginer le genre d’éducation qu’elle y reçoit. L’école prolonge cette éducation. Elle y rencontre d’autres fillettes, plus âgées qu’elle, et celles-ci lui apprendront ce qu’elle ignore encore. La contamination est telle que toutes en sortent atteintes. Vient ensuite l’atelier et dorénavant, si son tempérament s’y prête tant soit peu, elle est mûre pour le vice. L’atelier est pire encore que l’école. Lorsque nous nous déciderons enfin à nous occuper de la moralité du peuple, il sera indispensable de fixer notre attention sur l’apprentissage de l’atelier, qui mène tant de nos jeunes ouvrières à leur perte. On peut dire que tout contribue à les pousser sur le mauvais chemin: l’exemple désastreux dans la famille, la liberté dans laquelle elles ont grandi, l’inexistence certaine de tout principe, la soif du luxe qui les éclabousse, enfin les mauvaises fréquentations à l’école et à l’atelier. Cela tient du miracle, si elles restent dans le droit chemin, car le contraire n’est que le résultat logique de la manière sauvage dont elles ont été élevées.

Malgré cela, certaines se marient honnêtes, mais elles sont très rares. Les autres, le moment venu, se donnent au premier homme qu’elles rencontrent. Je dois ajouter que cet homme est généralement un ouvrier lui-même, car l’ouvrière se sent plus libre avec quelqu’un de son milieu. Par contre, son deuxième amant appartient presque toujours à une classe supérieure. Ensuite, les amants se suivent au hasard. Je ne parle pas ici des filles qui font commerce du vice, mais des véritables ouvrières qui travaillent. Beaucoup d’entre elles préfèrent rester libres et prennent des amants qui les aident. D’autres vivent des années entières avec un homme, sans jamais songer à l’épouser. D’autres encore épousent leurs amants, ou se donnent à ceux qui les aiment seulement après s’être mariées.

Ces mariages se présentent sous divers aspects. Il arrive que l’ouvrière, fatiguée d’une vie déréglée, craignant la vieillesse, épouse un ouvrier, ou parfois un petit fonctionnaire, ou un commerçant. Tout est possible lorsqu’il s’agit d’une ouvrière parisienne, car il n’y a pas de nature plus souple et plus portée à l’évolution. Il est vrai que toute modiste porte en elle une duchesse en herbe. Elle est capable de jouer n’importe quel rôle; en l’espace de deux semaines, elle se sent à l’aise dans n’importe quelle situation. On peut noter, à ce sujet, le trait suivant: s’il arrive fréquemment que l’ouvrière se marie à un commerçant, ou à un employé, en revanche, jamais leurs filles n’épousent des ouvriers.

Par son naturel, la femme est portée au raffinement. Il suffit, pour qu’elle y atteigne, qu’elle ait grandi dans l’atmosphère de serre des grandes villes. C’est ce qui distingue nettement l’ouvrière de la paysanne, car cette dernière, même riche, restera inculte. Il faudrait l’envoyer à la ville, dès son âge le plus tendre, lui faire traverser le vice, pour que se réveille en elle le charme tout-puissant de la femme.

Occupons-nous d’abord de l’ouvrière jeune et honnête, mariée à un ouvrier, c’est-à-dire d’une jeune fille pure, élevée chez ses parents, qui ne s’est pas laissée contaminer par le vice ni à l’école, ni à l’atelier. C’est un cas rare, je le répète, car la travailleuse des faubourgs qui n’a eu qu’un amant et qui ne fait pas une noce effrénée est considérée comme ayant de bonnes mœurs. L’honnêteté est chose relative. Voici donc notre jeune fille pure; il va de soi qu’elle n’est pure que physiquement, car, si elle a réussi à se préserver de la chute, elle n’a pu toujours se boucher les oreilles. On ne s’est jamais gêné devant elle, et même, si elle n’a rien entendu à la maison, la rue n’a pas manqué de l’éclairer. Elle connaît la vie et si elle s’est gardée, ce n’est que grâce à sa volonté, ou à son tempérament. Cela dépend surtout de la famille dans laquelle elle a grandi. Je connais des familles ouvrières très honorables; malheureusement, elles ne forment pas la majorité de nos faubourgs, mais elles servent d’exemple instructif. La mère surveille ses enfants et travaille aux heures libres; le père ne boit pas, il est régulier dans ses occupations et rapporte tout son salaire à la maison. Si les fils sont grands, ils aident aussi la famille. Quant à la jeune fille, elle est habituée au travail et à l’ordre. L’exemple est une grande leçon. Un tel milieu forme l’être humain. Lorsqu’on rencontre une ouvrière honnête, on peut être sûr que, neuf fois sur dix, son père n’est pas un ivrogne et sa mère n’est pas une paresseuse. L’honnêteté chez la jeune fille simple est d’autant plus respectable que les dangers auxquels elle est livrée sont plus nombreux et plus grands. Elle vit plus librement et court plus qu’une demoiselle le risque d’être tentée. Comparez donc ces deux mondes, voyez la différence des éducations que reçoit chacune d’elles. Généralement l’ouvrière se marie tôt, car elle a hâte d’alléger le sort des siens. Elle épouse souvent un ami de ses frères, un ieune ouvrier lui aussi, dont la bonne conduite est connue des parents. Le jeune couple a besoin d’argent pour s’installer. L’ouvrière n’a généralement pas un sou de dot. C’est à grand-peine que le père réunira cent ou deux cents francs. Cela suffira bien juste à l’achat d’un peu de linge et des ustensiles de cuisine les plus nécessaires. L’ouvrier doit fournir les meubles indispensables, pour lesquels il a besoin d’au moins quatre ou cinq cents francs. Lorsqu’il ne possède pas cette somme, il l’emprunte; il prend des meubles à crédit chez les marchands et s’engage à payer mensuellement. Ainsi, notre jeune couple s’est installé. Il arrive souvent que le lendemain du mariage il n’y ait plus vingt francs à la maison. Alors mari et femme se mettent au travail avec zèle et acquièrent bientôt une certaine aisance, s’ils se conduisent bien. Puis viennent les enfants. Ils les élèvent et voici qu’une nouvelle famille honnête se forme et grandit sur le fumier de nos faubourgs.

C’est l’endroit de la médaille. Malheureusement, si je ne veux pas mentir, je dois aussi montrer un autre aspect, celui de la misère et de la honte. Une jeune ouvrière qui s’est égarée en chemin et qui se marie peut quand même devenir bonne ménagère, si elle tombe sur un travailleur laborieux. Elle se met avec ardeur à son ménage; personne ne lui reproche son passé: le peuple est très indulgent à ce sujet. Il suffit qu’une femme se conduise bien, une fois mariée, qu’elle prenne bien soin de son mari et de ses enfants, et cela suffit. Tout le monde l’estime dans le quartier. La misère et la honte assaillent une famille seulement lorsque le vice y pénètre. Souvent, la faute en est au mari, mais parfois c’est la femme qui en est responsable. D’ailleurs, cela n’a pas beaucoup d’importance, le résultat étant le même. L’homme boit, la femme fait la noce, l’un et l’autre roulent dans la boue, se poussant mutuellement. C’est ce qui arrive le plus souvent. Parfois, l’un des deux trouve en soi la force de s’arrêter au bord de sa perte. Alors, il souffre et son existence est quand même brisée.

Ce triste dénouement de la vie des mauvaises familles ouvrières dépend peut-être plus de la femme que du mari. Il est presque inévitable, si l’ouvrière a mené une vie dissolue avant le mariage, chose qui arrive fréquemment. A l’âge de trente ou trente-cinq ans, la femme qui a jusqu’ici changé d’amants tous les mois se lie de nouveau avec un ouvrier quelconque. Elle n’est plus belle, elle réfléchit et elle oblige l’homme avec lequel elle cohabite à l’épouser, afin d’acquérir une position sociale. Mais les disputes commencent, à peine le mariage consommé. Le mari rappelle brutalement le passé à sa femme; il l’accable de paroles injurieuses, lui reproche de continuer son ancien métier. Il va de soi que la femme s’exaspère, commence à fuir la maison et à fréquenter d’autres hommes. Et, là-dessus, l’enfant, la fille vient au monde, et se fait le témoin de ces querelles immondes. C’est ainsi que germe la graine de la prostitution.

Le problème est simple. Si l’on veut que les ouvrières soient honnêtes, il faudrait faire vivre dans leur milieu des familles honnêtes de travailleurs. J’insiste sur le point que ce résultat ne saurait être atteint sans instruction ni sans l’accroissement du bien-être. L’école seule ne suffit pas, il faut aussi améliorer les salaires. L’ouvrier vit dans de trop mauvaises conditions et mange trop mal. Ces grandes maisons désordonnées qui abritent le peuple sont de véritables cuves où fermentent tous les vices. Nettoyez les faubourgs pour qu’ils ne contaminent plus les villes. Faites surtout pénétrer de l’air dans ces logements étroits. Quand la vie devient facile et agréable, il n’est pas difficile d’être honnête. Entre-temps, l’ouvrière vieillit. Celle qui ne s’est pas mariée se fane, derrière quelque travail monotone. Durant de longues années, elle a gagné quarante sous, cinquante tout au plus, soit juste assez pour ne pas mourir de faim. Aucune économie n’était possible dans ces conditions. Elle termine sa vie à l’hôpital, à moins que le Ciel ne la dote de quelque petit héritage, venu on ne sait d’où. Certaines ont la chance d’acquérir une maison ou un commerce quelconques, ce qui leur permettra de mettre de côté une misérable somme d’argent, après trente ans de labeur. Tout le monde reconnaît que le salaire féminin à Paris est insuffisant pour vivre. L’ouvrière ne peut choisir qu’entre deux solutions: ou la prostitution, ou la famine et la mort lente. En tout cas, lorsqu’elle vieillit, il ne lui reste plus que cette dernière issue.

La vieillesse de l’ouvrière mariée dépend du bonheur dont elle a su entourer sa famille. Si elle a mal élevé ses enfants, alors elle doit s’attendre à ce qu’ils l’injurient et même à ce qu’ils la battent. Une telle honte se voit surtout dans les bouges parisiens. Lorsqu’une mère indignée ose protester, les filles lui répondent brutalement qu’elles ne font que suivre son exemple. Au contraire, si la mère se trouve digne de respect, on la respecte, et elle vieillit entourée des égards et de l’amour des siens. Néanmoins, je dois avouer que la vieillesse est toujours triste chez l’ouvrière. Si elle n’a pas su mettre de l’argent de côté, ce qui arrive le plus souvent, alors, à la mort de son mari, elle reste à la charge des enfants et toute sa longue vie de labeur et d’honnêteté n’entre pas en compte. La réalité sans merci à raison de tout : elle ne peut plus travailler, elle devient donc une charge. Chez les gens simples, c’est un crime. Il faut travailler pour manger, car ce qu’on tire du travail pourvoit à peine à la subsistance journalière. Aussi proche et bonne qu’elle soit, une bouche à nourrir devient aussitôt l’objet de querelles et de soucis dans la famille. Et la mère âgée est une bouche inutile. J’ai souvent constaté le fait suivant : la mère est restée à la charge de ses enfants, qui sont, incontestablement, honnêtes et bons. Néanmoins, ceux-ci désirent sa mort. Elle a vécu son temps, à son tour de faire de la place aux autres.

Résultat cruel d’un monstrueux dénuement et d’un salaire insuffisant. Dans cette lutte pour l’existence, l’égoïsme s’implante dans les cœurs les plus généreux. Celui qui ne gagne pas son pain doit sans tarder disparaître de la face du monde; s’il s’obstine à vivre, on lui reproche de ne pas avoir amassé d’épargnes. L’ouvrière n’a pas d’abri, lorsqu’elle est vieille; dès que l’instrument de travail lui glisse d’entre les mains, elle doit mourir. Celles qui ont roulé dans la boue meurent dans la boue. Celles qui ont été vaillantes et honnêtes meurent le plus souvent de chagrin, dans un réduit sombre et étouffant, où leurs enfants leur auront jeté une paillasse par compassion. Toutes, elles appellent la mort et voient en celle-ci une libératrice.

Et pourtant, parmi notre population parisienne, c’est la femme qui représente le principe intellectuel. Comme je l’ai déjà dit, elle est bien plus portée à l’évolution que l’homme. Jeune, elle se distingue par sa souplesse et sa grâce. Plus tard, elle se flétrit rapidement, vaincue par les soucis ménagers. Mais alors le sens pratique s’éveille en elle et c’est elle qui le plus souvent dirige la maison. Le mari, s’il désire vivre heureux, la laisse faire, généralement. Elle a des idées et souvent elle les met à exécution. Elle est la tête, le mari n’est que le bras. De plus, elle est très rusée; la meilleure d’entre elles, la plus sincère, use de toutes sortes de  subterfuges, pour accroître le bien-être de sa famille: ainsi, elle cachera de l’argent, mentira au mari, afin de le pousser, malgré lui, à prendre quelque décision heureuse qu’il repousse obstinément. Elle est patiente et forte. Elle le corrigera d’un défaut, si l’on peut l’en corriger. En un mot, elle est infiniment supérieure à l’homme, bien plus intelligente et bien plus douée, capable d’évoluer. Le rôle social qu’aurait pu jouer notre femme du peuple, en tant que principe civilisateur, aurait été des plus importants. J’ai presque toujours constaté que la femme était plus instruite et même mieux élevée que l’homme. Elle comprend tout, elle sait tout, elle a des mains d’une habileté de fée; elle déchoit et s’abrutit seulement lorsque la vie l’écrase d’un fardeau trop lourd. »

Zola en 1878

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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