C’est à 61 ans que j’ai pris conscience des violences que je subis depuis plus de 50 ans de la part de mes semblables. J’entendais mon mari interroger une étudiante qui soutenait sa maîtrise, il était bienveillant et un véritable échange s’est établi entre eux alors mon combat pour obtenir mes examens m’est revenu en pleine face et j’ai pleuré. Mon prénom à consonance maghrébine m’a valu des affronts, des humiliations, des échecs. Au théâtre, en droit, en histoire, en Lettres classiques ou modernes, toujours la même question, toujours l’étonnement de ne pas voir se présenter une Maghrébine sortie tout droit de leur imagination de racistes qui s’ignorent. Certains sont allés jusqu’à poser la question qui leur brûlait la langue : « Alors vous êtes une moitié-moitié !? », légèrement offusqués, malgré leur combat de Mai 68, qu’une Française se soit mariée avec un indigène, en pleine Guerre d’Algérie ! L’affront le plus douloureux fut pour moi, l’étonnement d’un professeur de littérature, spécialiste de Flaubert, lorsqu’il comprit que le nom maghrébin à qui il avait refusé l’examen, était mon patronyme, à moi l’étudiante qui participait à ses cours, qui l’admirait et avec qui un véritable échange s’était établi : ce jour-là, je sus que jamais rien ne me serait accordé sans une lutte acharnée.

Jamais je ne trouverai la paix, comment le pourrais-je ? Ceux que j’aimais et qui sont morts ont tellement souffert de cette haine du métèque, de ce mépris de l’étranger que les classes supérieures cachent sous un sourire crispé, en s’esclaffant : « J’adore les Algériens » comme ils diraient « J’adore les Bergers allemands. » Je me souviens de ce petit notable de province qui faisait une liste comparative des couscous qu’il mangeait, j’aurais dû être flattée le mien arrivait en tête du peloton. C’est donc cela la vie, un combat perpétuel pour avoir le droit de vivre. Et aujourd’hui, ce sont mon fils et ma belle-fille et demain cela sera ma petite-fille et je voudrais tant les protéger, leur épargner la haine que les gens portent plus facilement en eux que l’amour.

Sous mes airs de joyeux drille, je porte en moi cette phrase de Charles Barbara : « Ceux qui restent font l’histoire de ceux qui s’en vont : c’est dans l’ordre. Ils ont la mémoire pour perpétuer les souvenirs funèbres, des yeux pour traduire en larmes les douleurs des existences éteintes. Vainement ils essayent d’éloigner d’eux la tristesse de cette tâche : la pensée les y ramène par un chemin que jalonnent des tombes. La part des absents n’est-elle pas préférable? Est-il donc si doux de voir agoniser ceux qu’on aime et le vide se faire autour de soi?… » Ma vie est en ces mots si douloureux, si justes.

J’ai tant donné à ceux qui ont demandé, j’ai tant écouté ceux qui ont sollicité, j’ai tant consolé, incité, tant tout, que je suis vide, que le monde qui s’agite autour de moi m’indiffère, je ne veux plus le connaître, je ne veux plus l’entendre. Je n’ai plus de forces que pour les miens, ceux que j’aime au-delà de tout.

Aujourd’hui, dimanche 27 juin 2021, ma fille emménage dans son appartement, elle est heureuse et angoissée à la fois. Pour elle, cette première étape est celle qui mène à la mort, elle n’est plus la petite fille insouciante. Je ramasse quelques objets qu’elle a oubliés. Cette nuit a été la dernière où ma petite fille a dormi sous le toit rassurant de ses parents, elle reviendra peut-être dormir, mais cela ne sera plus jamais pareil.

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A suivre …

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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