Cela a été long mais j’ai fini par ne plus aimer mon prochain. Il m’a fallu 60 ans mais aujourd’hui, je ne veux plus les voir, les entendre me fatiguent déjà assez.
2 Mars 2021, ma fille a 20 ans : dans ma tête Serge Reggiani. Je voudrais être plus jeune pour avoir le temps de la voir devenir une femme mûre. Je dois vivre longtemps, longtemps pour combler ces 40 ans qui nous séparent. Sur une photo floue, j’ai 45 ans, je ris, ma fille rit dans mes bras et mon fils nous entoure de ses bras, en souriant : que j’aime cette photo, elle est, pour moi, l’expression de cet amour inconditionnel qui me lie à mes enfants. J’aurais aimé construire une grande famille, la vie ne l’a pas voulu et je ne regrette rien. Aurais-je su gérer de nombreux enfants ? Je suis heureuse ainsi, la vie a bien fait.
J’ai 60 ans et je commence à retrouver mon calme. Ma colère s’estompe. J’en ai fini avec l’Education Nationale. Le mal qu’elle m’a fait sera compté en bonus quand je mourais ! Je suis rentrée en convalescence, j’accepte d’être malade et fragile. Je ne culpabilise plus de ne pas avoir la force de, je ne veux plus faire semblant, je vis à mon rythme sans me soucier de l’apparence.
Il était une fois une petite fille heureuse, elle aimait ses parents, elle aimait ses frères. Mais les petites filles sont fragiles et les premiers chagrins marquent à jamais leur petite âme. Alors la petite fille est devenue une jeune fille méfiante et colérique mais elle aimait toujours ses parents et ses frères. Et les jeunes filles méfiantes rencontrent des garçons dont elles ne se méfient pas, elles ont besoin de se croire aimées. Et elles deviennent des mères célibataires aimantes et peut-être étouffantes. Et puis, et puis la vie se charge de chacune d’elles et vogue la galère . . .
Et maintenant j’ai 60 ans et dans ma tête, tout se bouscule. Je ne sais plus ce que je veux, je ne sais plus si je suis malade ou si je me rends malade, je ne sais plus si j’ai envie de partager ou si je veux rester seule avec moi-même, je ne sais plus si j’ai la force de vivre ou si j’ai la force de mourir . . . Je suis fatiguée, si fatiguée. Le gastro-entérologue m’a dit que j’étais au bout du rouleau, qu’il fallait que j’arrête, que je m’arrête, que je ne pouvais pas continuer comme cela : et je fais quoi de ma peau ? Je regarde ceux que j’aime et je suis heureuse de les voir vivre mais pourquoi suis-je si loin ?
Mon Dieu, aidez-moi à retrouver celle que j’étais, celle qui réussissait toujours à se relever. Pourquoi me suis-je effondrée ? Pourquoi n’ai-je plus la force de me remettre debout ? Je ne suis pas même à genoux, je suis à terre, je ne peux plus ou je ne veux plus me battre. Je regarde le monde qui s’effondre, je regarde la bêtise qui l’envahit et je pense au film Une Histoire sans fin, je revois le néant qui détruit le monde. Où es-tu Atreyu ?
Depuis que je suis adulte, les adultes ne me prennent pas au sérieux. C’est drôle, tant que j’étais une adolescente, ils me prenaient au sérieux ! J’ai sûrement dû rater un épisode ! Ma petite-fille rit aux éclats quand nous passons la journée ensemble, je la fais rire. Ma fille se demande, avec attendrissement, ce qui se passe dans mon cerveau lorsque mes réactions lui font penser à celles d’un enfant de 5 ans. Mon fils m’a, un jour, remerciée d’être si gaie. Ma belle-fille aime ma présence dans sa vie. Mon mari m’a dit que mon rire était ce qu’il possédait de plus précieux, alors je ne désire rien d’autre, tout est parfait.
A suivre …
Tous droits réservés : Jeanne Bourcier