Le féminisme s’est construit sur plusieurs siècles mais l’élément déclencheur est la Révolution de 1789. Les femmes y participèrent activement mais elles furent oubliées dans les textes. Les hommes écrivirent la Déclaration des Droits de l’Homme alors une voix de femme s’éleva contre cet oubli : celle d’Olympe de Gouges (1748-1793). Cette femme issue d’un milieu de petits commerçants, était connue pour ses combats, anti-esclavagiste convaincue, elle s’était battue pour :

  • – la suppression du mariage religieux, souhaitant le remplacer par un contrat civil.
  • – Le droit au divorce.
  • – Le statut des enfants naturels.
  • – La libre recherche de la paternité.
  • – La reconnaissance des enfants nés hors mariage.
  • – Un système de protection maternelle et infantile.
  • – La création de maternités.
  • – La création de foyers pour les mendiants.
  • – La création d’ateliers nationaux.

Elle écrivit donc en 1791, La Déclaration des Droits de la Femme. L’on comprend qu’Olympe de Gouges soit devenue l’une des grandes figures emblématiques du féminisme. Mais elle ne doit pas faire oublier cette voix masculine qui, à la même époque, s’éleva pour réclamer le droit des femmes. Condorcet (1743-1794) mourut dans un cachot la veille de son exécution après avoir écrit, au milieu d’une œuvre considérable : Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790) et Cinq mémoires sur l’instruction publique (1792). Quelques extraits de Sur l’admission des femmes au droit de cité donne une idée de l’intelligence et la droiture de ce philosophe : « L’habitude peut familiariser les hommes avec la violation de leurs droits naturels au point que parmi ceux qui les ont perdus, personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir éprouvé une injustice. Il est même quelques-unes de ces violations qui ont échappé aux philosophes et aux législateurs, lorsqu’ils s’occupaient avec le plus de zèle d’établir les droits communs des individus de l’espèce humaine, et d’en faire le fondement unique des institutions politiques. Par exemple, tous n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois , en excluant les femmes du droit de cité ? ….. Pour que cette exclusion ne fût pas un acte de tyrannie, il faudrait : ou prouver que les droits naturels des femmes ne sont pas absolument les mêmes que ceux des hommes, ou montrer qu’elles ne sont pas capables de les exercer. Or les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées. Ainsi, les femmes ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes, et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion , sa couleur , ou son sexe , a dès lors abjuré les siens … »

Après la Révolution, le féminisme s’éteint, malgré quelques grandes figures féminines qui feront parler d’elles. Le Directoire, la Restauration ne mettent certes pas en avant la femme. Le religion revenant en force et le Romantisme en feront des proies faciles, attendant d’elles de la sensiblerie et non de la sensibilité, des larmes et tout ce qui va avec l’image que la bourgeoisie se faisait d’une femme. C’est dans les années 1830, sous le règne de Louis-Philippe, que le St Simonisme donne un nouvel éveil au féminisme. Beaucoup de femmes suivront sa doctrine sur la question de la femme : la femme libre ce que la bourgeoisie assimile aussitôt à la femme publique. Ces femmes qui s’intéressaient à autre chose qu’à leur apparence et à leur foyer furent raillées et reçurent le nom ironique de Bas-Bleus, en référence à leur manque de coquetterie ! Pour la société bien pensante de cette époque, une femme devait être ignorante, superficielle : une Agnès en quelque sorte. Cet éveil est lié d’une part au socialisme français ( St Simon mais aussi Fourier et Cabet) et d’autre part à certains romanciers qui mirent en avant la condition féminine (Balzac, Eugène Sue, Sand …)

Enfin arrive la Révolution de 1848. Un mouvement féminin se forme avec un club, une femme Jeanne Deroin (1805-1894), ouvrière qui a réussi à obtenir son brevet d’institutrice, se présente même aux élections législative : Tout le monde s’offusque, les socialistes aussi et même George Sand et Marie d’Agoult (connue sous le nom de Daniel Stern 1804-1876)) sont scandalisées qu’une femme puisse désirer prendre une place réservée aux hommes. Ce qui laisse à penser que ces grandes bourgeoises « libérées » prenaient cette lutte comme un faire valoir ou un passe temps !

1851 : Le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte et l’Empire s’installe avec sa vision de la femme. Eugénie, l’impératrice, toujours entourée des plus belles de la haute société, reste pour tous une beauté qui a voulu se mêler de politique et qui a toujours été de mauvais conseil. Les courtisanes ou grandes horizontales, pour lesquelles des hommes se ruinent, sont représentatives de ce que la société masculine attend de la femme : qu’elle soit dépensière, frivole, belle, élégante, mondaine … Ne surnomme-t-on pas l’Empire : la fête impériale ! Arsène Houssaye est l’auteur qui a le mieux présenté ce monde de fêtes et de légèreté.

En 1853, Ernest Legouvé (1807-1903), dramaturge, écrivain, moraliste, fait entendre un discours différent sur la femme ainsi que sur l’éducation des enfants et des jeunes filles : chargé de cours au Collège de France à destination des femmes, il en sort un ouvrage : L’Histoire morale des femmes. Cela relève plus de la morale et peut-être de la pitié que du droit mais c’est un premier pas. En 1858, un St Simonien, François Bathélémy Arlès Dufour (1797-1872) met à l’étude avec l’Académie de Lyon : « les moyens d’élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes, lorsqu’il y a égalité de salaire ou de travail, et d’ouvrir aux femmes de nouvelles carrières . ». « C’était attaquer la question par le côté économique, si important. Car la revendication pour la femme de la liberté et de l’égalité se complique d’une question matérielle immense. Le salaire de la femme suit sa condition; il est avili comme elle l’est elle-même. Rejetée de la plupart des métiers, écartée de presque toutes les carrières, partout écrasée, obligée pour vivre de recourir à d’autres moyens que le travail, la femme tombe et la société descend avec elle. Il sortit de ce concours un mémoire remarquable par l’étude des faits et le sentiment du droit, et publié depuis sous ce titre : La Femme pauvre au XIXe siècle. » écrit André Léo (1824-1900, romancière, journaliste, militante féministe, Communarde, membre de la Première Internationale) en 1869 et plus loin dans son livre : La Femme et les mœurs, elle s’appuie sur l’ouvrage de Julie Daubié : « Dans nos différentes villes manufacturières, on voit des petites filles de douze ans s’offrir chaque soir dans la rue, et la ville de Reims compte plus de cent enfants de cet âge, qui n’ont pas de moyens de subsistance en dehors de la prostitution. » ( Villermé, cité par mademoiselle Daubié ) … Ce Arlès Dufour milite depuis longtemps pour l’égalité homme/femme. En 1861, lors de son mariage, il accole le nom de son épouse au sien : une grande première! Il soutient Julie Victoire Daubié, la jeune fille qui écrivit La Femme pauvre au XIXe siècle. Il co-fonde l’Association pour l’émancipation progressive de la femme. Et il obtient, auprès de l’Impératrice Eugénie, la Légion d’Honneur pour la peintre Rosa Bonheur (1822-1899), elle sera la 1ère artiste à recevoir cette décoration et la 1ère femme à être promue officier de la Légion d’honneur.

Julie Victoire Daubié (1824-1874) est la première femme à avoir obtenu son baccalauréat en 1861 à l’âge de 34 ans, 10 ans plus tard, le 28 octobre 1871, elle sera la première femme licenciée ès Lettres alors que les cours ne sont pas ouverts aux femmes. Elle travailla donc seule sa licence. Elle reçut son diplôme 6 mois plus tard son nom était bien inscrit mais licencié sans e puisque l’intitulé comme celui du baccalauréat n’existait qu’au masculin. Journaliste et militante féministe active, elle combattit toute sa vie, les préjugés imbéciles contre les femmes et se battit pour les droits des femmes (vote, éducation, formation professionnelle efficace).

Peu prennent au sérieux les revendications des femmes et pourtant la femme est maltraitée, sous-estimée, reléguée à des tâches ménagères. Le salaire des femmes est en moyenne de 1f20 par jour mais c’est une moyenne qui se fait aux dépens du grand nombre qui gagne 60cts par jour et 2f20 par jour pour un homme. Alors pourquoi s’étonner que ces femmes se prostituent, se suicident ou voient le mariage comme un expédient économique : le mariage est une forme de prostitution ne vient pas de Simone de Beauvoir mais bien de ces féministes qui étaient confrontées à une vie douloureuse. Pas trop d’autres solutions pour ces femmes, écartées de presque toutes les fonctions sociales autres que serviles, privées d’un salaire suffisant, que de se vendre dans le mariage ou de se louer dans la prostitution. Il est important de souligner que des philosophes sociaux comme Michelet ou le précurseur de l’anarchisme Joseph Proudhon ne se souciaient aucunement de la situation dramatique des femmes. Heureusement des femmes s’élevèrent contre ce machisme, ce patriarcat écœurants. En 1849, il s’était opposé dans le journal Le Peuple à la candidature de Jeanne Deroin qui ne s’était pas privée de répondre à son article dans lequel ce socialiste libertaire écrivait : « Un fait très grave et sur lequel il nous est impossible de garder le silence, s’est passé à un récent banquet socialiste. Une femme a sérieusement posé sa candidature à l’Assemblée Nationale. […] Nous ne pouvons laisser passer sans protester énergiquement, au nom de la morale publique et de la justice elle-même, de semblables prétentions et de pareils principes. Il importe que le Socialisme n’en accepte pas la solidarité. L’égalité politique des deux sexes, c’est-à-dire l’assimilation de la femme à l’homme dans les fonctions publiques est un des sophismes que repousse non point seulement la logique mais encore la conscience humaine et la nature des choses […] La famille est la seule personnalité que le droit politique reconnaisse […] Le ménage et la famille, voilà le sanctuaire de la femme » reprenant son idée de 1846 : « Pour moi, plus j’y pense et moins je puis me rendre compte, hors de la famille et du ménage, de la destinée de la femme : courtisane ou ménagère (ménagère, dis-je, et non pas servante), je n’y vois pas de milieu. ». Des femmes comme Hortense Wild (1814-1896) ne se privèrent pas de le ridiculiser mais Jenny d’Héricourt (1809-1875) alla plus loin. En 1856, dans La Revue philosophique et religieuse, elle osa s’opposer à Proudhon en reprenant point par point ce qu’il avait écrit, son article s’intitulait : Mr Proudhon et la question des femmes. Deux ans plus tard trois ouvrages vont paraître l’un de Proudhon, les deux autres de Michelet. « La Justice dans la Révolution, où Proudhon insultait grossièrement la femme, et par l’Amour et La Femme, où Michelet, plus doucereusement, ne l’insultait guère moins. » écrit André Léo et elle continue  » Deux réponses entr’autres, fort énergiques, leur furent adressées, l’une intitulée : Idées anti-proudhoniennes, signée Juliette Lambert; l’autre : La Femme affranchie, par madame J. d’Héricourt, œuvre de haute polémique, où le bon sens, la logique et la raison s’expriment avec une verve pleine d’ironie. Ces deux ouvrages, qui avaient beau jeu contre les contradictions proudhoniennes, affaiblirent fortement déjà, dans le monde des penseurs, le prestige de l’athlète franc-comtois; mais furent peu lus du public vulgaire. Le beau livre de madame d’Héricourt, tout en réfutant principalement Proudhon, frappait aussi d’estoc et de taille sur Michelet, Auguste Comte et autres détracteurs de la femme. » Ces penseurs laissaient donc circuler l’idée que la femme est faite pour l’homme et non pour elle-même, née pour le dévouement, elle devait être privée de responsabilité et d’initiative : elle était objet ! A cela il faut rajouter le fait que l’instruction pour la femme étant abaissée, ces hommes pouvaient se conforter dans l’idée que le beau sexe était intellectuellement inférieur.

Soumise la femme doit être soumise. Et lorsque sa vie l’entraîne de chute en chute, les hommes la regardent tomber pour en faire ce que la bourgeoisie bien pensante appelle une fille soumise. Quelle ironie ! Un même mot pour désigner une jeune femme bien élevée dans les principes d’une société patriarcale et une jeune femme qui se prostitue. Encore une fois Jenny d’Héricourt écrira sa colère dans un livre La Femme affranchie en 1860, dans lequel elle lâche le grand mot Emanciper : « Mon but est de prouver que la femme a les mêmes droits que l’homme. De réclamer, en conséquence son émancipation. Enfin d’indiquer aux femmes qui partagent ma manière de voir, les principales mesures qu’elles ont à prendre pour obtenir justice. Le mot émancipation, prêtant à l’équivoque, fixons en d’abord le sens. Émanciper la femme, ce n’est pas lui reconnaitre le droit d’user et d’abuser de l’amour : cette émancipation-là n’est que l’esclavage des passions; l’exploitation de la beauté et de la jeunesse de la femme par l’homme; l’exploitation de l’homme par la femme pour sa fortune ou son crédit. Émanciper la femme, c’est la reconnaître et la déclarer libre, l’égale de l’homme, devant la loi sociale et morale et devant le travail. »

Jenny d’Héricourt

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

2 réflexions sur “Merci, Mesdames et Messieurs …

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s