Alphonse Daudet (1840-1897) : Nous avons tous été bercés par son Arlésienne ou sa Chèvre de Mr Seguin, et je ne peux me résoudre à l’imaginer haineux, lui qui était réputé pour son infinie gentillesse. Mais je dois admettre que ces écrits sur la Commune prouvent bien qu’il se désolidarisait des Communards. L’on trouve dans les Contes du Lundi, dans Quarante ans de Paris, des paroles qui ne laissent pas de doute sur ce qu’il défendait, mais à la différence d’autres auteurs, il reconnaissait aux Communards un idéal qu’il ne partageait certes pas et qu’il qualifiait de fou mais au moins il l’admettait.

… Ah ! décidément, képi de révolte et d’indiscipline, képi de paresse, d’ivresse, de club, de radotages, képi de la guerre civile, tu ne vaux même pas le coin de rebut que je t’avais laissé chez moi. A la hotte !… (Le Képi)
Un des derniers jours du mois de mars, nous étions cinq ou six attablés devant le café Riche, à regarder défiler les bataillons de la Commune. On ne se battait pas encore, mais on avait déjà assassiné rue des Rosiers, place Vendôme, à la préfecture de police. La farce tournait au tragique, et le Boulevard ne riait plus. Serrés autour du drapeau rouge, la musette de toile en sautoir, les communeux marchaient d’un pas résolu dans toute la largeur de la chaussée, et de voir ce peuple en armes, si loin des quartiers du travail, ces cartouchières serrées autour des blouses de laine, ces mains d’ouvriers crispées sur les crosses des fusils, on pensait aux ateliers vides, aux usines abandonnées… Rien que ce défilé ressemblait à une menace. Nous le comprenions tous, et les mêmes pressentiments tristes, mal définis, nous serraient le cœur. À ce moment, un grand cocodès indolent et bouffi, bien connu de Tortoni à la Madeleine, s’approcha de notre table. […] En vérité, je crois que si l’on m’eût donné à choisir, j’aurais préféré ces enragés de la Commune qui montaient aux remparts un croûton de pain au fond de leur sac de toile. Ceux-là du moins avaient quelque chose dans la tête, un idéal vague, fou, qui flottait au-dessus d’eux et prenait des teintes farouches aux plis de ce haillon rouge pour lequel ils allaient mourir. Mais lui, ce grelot vide, cette cervelle en mie de pain… (Quarante ans à Paris : Une évasion)
Ernest Daudet (1837-1921) : Frère aîné d’Alphonse, il reprend le commerce familial puis se lance dans le roman, le journalisme et l’histoire tout en entrant comme secrétaire-rédacteur au Sénat, fonctionnaire parlementaire appelé aujourd’hui analyste des débats. Moins connu que son frère, il a laissé quelques œuvres qui lui ont valu le Prix Calmann-Lévy en 1892, qui, pour certaines, sont agréables à lire. En revanche, il a laissé un témoignage sur la Commune : L’Agonie de la Commune : Paris à feu et à sang, 24-29 mai 1871. On est loin d’Alphonse Daudet !

La Commune a vécu. Après avoir trouvé dans la désorganisation de Paris et de la France, dans la démoralisation des âmes , la possibilité de fonder sur la terreur son règne éphémère , elle s’est effondrée sous le poids des malédictions et des haines de ceux qui l’avaient subie , sous les coups des vaillants soldats de l’armée nationale , dans le sang de ses partisans et de ses victimes . Mais, comme une bête fauve blessée aux flancs, et qui se sent mourir, elle a eu, durant son agonie, des désespoirs, des rages, des violences , des affolements redoutables . Ses convulsions ont duré huit jours , pendant lesquels les hommes du 18 mars ont mis le comble à leurs crimes, par l’organisation d’une résistance insensée, à laquelle ils ont fait concourir jusqu’aux femmes et aux enfants. On s’est battu dans tous les quartiers de Paris. Il y a bien peu de maisons qui ne portent encore les traces de la lutte. Murs crevassés; vitres brisées; toits effondrés; cheminées dans les rues; meubles en morceaux au travers des fenêtres béantes; cadavres sur le sol; des quartiers entiers livrés aux flammes; des femmes, des enfants fuyant égarés parmi ces ruines embrasées; des malheureux, réfugiés dans leurs caves, asphyxiés par la fumée, brûlés par des jets de pétrole, souffrant la faim; de tous côtés, des cris de détresse, des chants d’orgie, des clameurs de rage; les folies de Sardanapale, compliquées des cruautés de Néron; l’héroïsme du soldat coudoyant l’infamie du brigand; des prisonniers massacrés; des réfractaires fusillés; des innocents frappés; des incendies s’allumant derrière nos bataillons victorieux; les pompiers luttant à la fois contre le feu et contre les projectiles; des pétroleurs , des pétroleuses se glissant le long des maisons, à la faveur de la nuit, pour propager leur œuvre diabolique : voilà le Paris que nous avons vu, le Paris que nous a fait la Commune. Et qu’on ne dise pas que c’était l’effort suprême, désespéré des partisans d’une grande idée sociale ou patriotique. Sauf de rares exceptions, la plupart de ceux qui combattaient, qui versaient leur sang, ne savaient pour qui ni pour quoi on les conduisait à la mort. Les chefs étaient divisés d’intentions et d’idées. Il en est plusieurs que leur passé déshonoré rendait indignes de servir une noble cause, qui cachaient dans l’ardeur de leur parole, dans l’expression menteuse de convictions feintes, des projets odieux et sinistres. L’armée de l’émeute, placée sous leurs ordres, s’était recrutée à l’étranger autant qu’en France. On y comptait des forçats, des repris de justice, toute la tourbe misérable qui grouille dans les profondeurs des sociétés modernes. Les soldats qui la composaient n’avaient en vue qu’une revendication matérielle, qui ne pouvait être satisfaite que par le vol, le pillage, la destruction, l’assassinat. Des hommes en délire, des femmes marchant et agissant sous l’empire d’une sorte de frénésie démoniaque, entraînés à des excès sans nom, par je ne sais quelle exaltation malsaine que déterminaient l’abus des boissons alcooliques; l’odeur de la poudre, la vue du sang, des chairs meurtries et sanglantes, les mensonges innombrables de ceux qui présidaient à ces saturnales et cet illuminisme sauvage qui précède la mort chez les criminels, que le châtiment menace au milieu de leurs forfaits , tels sont les héros de ces journées néfastes, auxquelles aucune horreur n’aura manqué. Il faut, en effet, remonter jusqu’au meurtre de la princesse de Lamballe, jusqu’aux assassinats de septembre ou aux égorgements de la Glacière d’Avignon, pour trouver l’équivalent des actes barbares accomplis dans Paris, du 22 au 29 mai 1871. C’est la relation de ces événements que j’ai voulu écrire avant que le souvenir n’en fût refroidi dans mon âme épouvantée. D’autres retraceront l’histoire du règne de la Commune. Ils expliqueront l’origine de ce formidable mouvement; ses causes, ses conséquences. Ils rechercheront l’étroite connexité qui existe entre le 4 septembre et le 18 mars. Ils démontreront la responsabilité des personnages qui, la menace à la bouche, réclamèrent longtemps des armes pour tous les citoyens, sans exception; qui, ayant tenu dans leurs mains, le 31 octobre et le 22 janvier, les chefs de l’insurrection, se montrèrent insouciants et faibles au point de ne vouloir pas les châtier, et qui, plus tard, mis par M. de Bismark en demeure de désarmer la garde nationale, refusèrent énergiquement de prendre une mesure que les événements ont rendue depuis rigoureusement nécessaire, et qui, plus tôt exécutée, eût évité l’effusion du sang, épargné à ce pays des désastres irréparables. Oui, d’autres étudieront ces graves questions. Pour moi, je m’en tiens au récit des catastrophes qu’a vues la dernière semaine du mois de mai, qui ont couronné d’une infortune sans exemple, avec une implacabilité saisissante, avec une grandeur épique, l’histoire de nos malheurs et de nos fautes. J’écris à la hâte, guidé dans ce défilé d’aventures lamentables par des notes prises au jour le jour, par des souvenirs personnels au tant que par les diverses versions empruntées aux journaux. Je me suis efforcé d’être exact; j’ose l’affirmer sans prétendre cependant qu’aucune erreur ne s’est glissée dans mon récit. J’ai dû passer légèrement sur les détails des opérations militaires à propos desquelles les rapports officiels manquent encore. En revanche, j’ai groupé tout ce qui était propre à donner une idée de la physionomie de Paris durant ces effroyables journées. J’ai la prétention d’avoir condensé dans ces pages fiévreuses et rapides, les premiers éléments de l’histoire définitive de la Commune, pendant la dernière semaine de son règne, à l’heure de son agonie .
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Une réflexion sur “Anthologie (3)”