Maxime Du Camp (1822-1894) : écrivain et photographe (il est des premiers à documenter une mission archéologique), ami de Flaubert, Baudelaire, Gautier et tant d’autres, il laisse des Souvenirs littéraires fort instructifs. Mais il est aussi l’auteur, entre autres œuvres, des Convulsions de Paris, livre qui retrace de manière hostile, l’histoire de la Commune. Deux tomes dans lesquels il est bien difficile de choisir des extraits tant on voudrait tout lire pour montrer avec quelle mauvaise foi, quel mépris, quelle haine cet homme, réputé fin et intelligent, a pu salir l’esprit, les combattants, les lois… de la Commune. Dans cet extrait, l’on peut lire ce qu’il pense des bataillons des Fédérés mais surtout des Communardes, et l’on ne peut être qu’effrayé par autant de préjugés bourgeois et réactionnaires.

Maxime Du Camp 1822-1894

Dans l’armée de la Commune, sur un groupe de cent individus on trouve : quatorze repris de justice, douze volontaires croyant défendre une cause légitime et soixante-quatorze pauvres diables qui ont été forcés de marcher autour d’un drapeau qu’ils détestaient ; donc, sur cent combattants, douze seulement ont raisonné leur action et ont été les soldats d’une théorie révolutionnaire. Parmi ces révoltés il y eut beaucoup d’ignorants qui ne comprirent rien aux faits dont ils étaient les témoins.

[…]

Tout fut burlesquement sinistre dans cette Commune où l’imbécillité marchait de pair avec la violence ; pendant que les hauts personnages ripaillaient dans les Ministères et à l’Hôtel de Ville, pendant que Paris se dépeuplait pour laisser la place libre à la ménagerie qui s’en était emparée, pendant que les enfants dépassaient du premier bond toutes les bornes de la férocité, les femmes ne voulurent pas rester en arrière et se jetèrent au premier plan. Le sexe faible fit parler de lui lors de ces temps exécrables, et pour faire suite au Mérite des femmes, on pourrait écrire un livre curieux : Du rôle des femmes pendant la Commune. Le récit de leurs sottises devrait tenter le talent d’un moraliste ou d’un aliéniste. Elles avaient lancé bien autre chose que leur bonnet par-dessus les moulins ; elles ne s’arrêtèrent pas à si mince détail et tout le reste du costume y passa. Elles mirent leur âme à nu, et l’on fut stupéfait de la quantité de perversité naturelle que l’on y découvrit. Celles qui se donnèrent à la Commune— et elles furent nombreuses —n’eurent qu’une seule ambition : s’élever au-dessus de l’homme en exagérant ses vices. C’était là un idéal qu’elles surent atteindre. Elles furent mauvaises et lâches. Utilisées par la police des Rigault et des Ferré, elles furent impitoyables dans la recherche des réfractaires qui se cachaient pour ne point subir la honte de servir la Commune. Comme « ambulancières », elles furent funestes, abreuvèrent les blessés d’eau-de-vie, sous prétexte de les « remonter », et poussèrent dans la mort bien des malheureux qu’une simple médication aurait guéris. Dans les écoles où elles s’installèrent, elles débitèrent bien des sornettes sans orthographe et apprirent aux petits enfants à tout maudire, excepté la Commune. Du haut de la chaire des églises converties en clubs, elles laissèrent tomber toutes les sanies dont regorgeait leur ignorance ; de leur voix criarde et glapissante, au milieu de la fumée des pipes, dans le bourdonnement des hoquets avinés, elles demandèrent « leur place au soleil, leurs droits de cité, l’égalité qu’on leur refuse » et autres revendications indécises qui cachent peut-être le rêve secret qu’elles mettaient sans vergogne en pratique : la pluralité des hommes. Elles se déguisèrent en soldats : elles eurent des toques hongroises, des culottes de zouave, des vestes galonnées, des brandebourgs, des soutaches, des broderies, du clinquant, du similor, et, ainsi vêtues en chie-en-lit, elles s’armèrent, firent le coup de feu et furent implacables. Elles se grisèrent au sang versé et eurent une ivresse furieuse qui fut horrible à voir. Elles « manifestaient » ; elles se réunissaient en bandes, et, comme les tricoteuses leurs aïeules, elles voulaient aller à Versailles « chambarder la parlotte et pendre Foutriquet premier ». Elles étaient toutes là, s’agitant et piaillant, les pensionnaires de Saint-Lazare en vacances, les natives de la petite Pologne et de la grande Bohême, les marchandes de modes à la tripe de Caen, les couturières pour messieurs, les chemisières pour hommes, les institutrices pour étudiants majeurs, les bonnes pour tout faire, les vestales du temple de Mercure et les vierges de Lourcine. Ce qu’il y avait de profondément comique, c’est que ces évadées du Dispensaire parlaient volontiers de Jeanne d’Arc, et ne dédaignaient pas de se comparer à elle. La Commune, sans trop s’en douter, aida à ce soulèvement féminin qui vidait les maisons à gros numéro au détriment de la santé publique et au profit de la, guerre civile. Elle sut résoudre — cette bonne Commune, composée des fortes têtes que l’on sait — elle sut résoudre, d’un seul coup, le problème social qui trouble, depuis tant d’années, les administrateurs, les économistes, les moralistes, les philosophes, les médecins et les législateurs. Elle fit coller un papier sur les murailles de Paris, et la grande difficulté fut dénouée pour jamais. Par une affiche, bien et dûment timbrée, elle abolit la prostitution. Ce ne fut pas plus difficile que cela. Les pauvres créatures libérées de tout lien administratif, de tout contrôle sanitaire, ne se le firent pas répéter : elles se répandirent comme une lèpre dans la ville, et lorsque, réduites à la misère par les hommes qui les exploitaient, elles n’eurent plus de quoi manger, elles prirent la casaque du fantassin, et allèrent aux avant-postes, où elles ne furent pas moins redoutables à leurs amis qu’à leurs adversaires. Aux derniers jours, toutes ces viragos belliqueuses tinrent derrière les barricades plus longtemps que les hommes ; elles furent là où le crime fut sans merci et sans frein : à l’avenue Parmentier, quand on assassina le comte de Beaufort ; à l’avenue d’Italie, quand on chassa aux dominicains; devant les murs de la Petite-Roquette, lorsqu’on y tua les otages évadés ; à la rue Haxo, quand on y massacra les gendarmes et les prêtres. On en arrêta beaucoup, les mains noires de poudre, l’épaule meurtrie par le recul du fusil, tout émues encore de la surexcitation des batailles. 1051 furent conduites à Versailles, parmi lesquelles on pouvait compter, selon les euphémismes de la statistique, « 246 célibataires soumises à la police. » Comme pour les enfants, on ne fut pas trop sévère, et 850 ordonnances de non-lieu furent rendues en leur faveur ; parmi les prisonnières, on en envoya quatre dans un asile d’aliénés : c’est bien peu ! Pour qui a étudié l’histoire de la possession, il n’y a guère à se tromper ; presque toutes les malheureuses qui combattirent pour la Commune étaient ce que l’aliénisme appelle « des malades ».

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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