Il est bien difficile de définir ce qu’est la littérature prolétaire. On en trouve les prémices chez Albert Thierry (1881-1915), instituteur syndicaliste et écrivain tué à la guerre. Réflexions sur l’éducation qu’il publie en 1912-1913, dans La Vie Ouvrière développe le concept du Refuser de parvenir : « ce n’est ni refuser d’agir ni refuser de vivre, c’est refuser de vivre et d’agir pour soi et aux fins de soi » et aussi « C’est rester fidèle au prolétariat, c’est anéantir à sa source un égoïsme avide et cruel ». Dans la foulée de cette année 1913, Marcel Martinet (1887-1944) publie un manifeste intitulé L’art prolétarien. Et en 1935 il rassemblera tous ses articles dans Culture prolétarienne.

C’est Henry Poulaille (1896-1980) qui sera le créateur du courant de la littérature prolétarienne aux alentours des années 1925. Toute sa vie, il se fera le promoteur de l’expression populaire. C’est pourquoi on lui doit la découverte et la publication de nombreux auteurs comme Barbusse, Dabit, Cendrars, Dos Passos, Panaït Istrati, Jean Giono…qu’il faut lire ou relire.

Au commencement trois règles définissaient l’écrivain prolétarien :
- Né de parents ouvriers ou paysans
- Autodidacte (ayant quitté tôt l’école pour travailler, ou à la rigueur ayant bénéficié d’une bourse — en général pour devenir instituteur dans le système primaire, « l’école des pauvres », à l’époque où deux systèmes scolaires cohabitaient),
- Qui témoigne dans ses écrits des conditions d’existence de sa classe sociale
Mais rapidement le concept s’élargit aux « écrivains s’intéressant au prolétariat, et écrivant sur lui », et la littérature prolétarienne s’est développée et continue aujourd’hui sous diverses formes et surtout hors de toutes écoles littéraires.
Les écrivains prolétariens s’expriment particulièrement dans des récits autobiographiques, des confessions, des chroniques, des témoignages, des chansons, de la poésie et quelquefois des romans, mais cette forme d’écriture n’est pas privilégiée. Evidemment les auteurs prolétariens ou les écrivains paysans n’ont pas attendu la formation de ce courant littéraire pour écrire et pour être publié. Et la liste d’écrivains ayant écrit dans cet esprit serait longue. Depuis Rutebeuf qui marque une coupure avec la poésie courtoise, une tradition poétique chante les gueux, les manants, les déshérités, on la retrouve régulièrement au cours des siècles. A cette poésie il faut ajouter la chanson qui fleurit particulièrement au XIXe siècle, siècle troublé par tant de révolutions, de révoltes et de répressions. Quant aux autres formes de littérature prolétarienne, on la trouve aussi bien dans Les Confessions de J.J.Rousseau : » Je suis né à Genève en 1712, d’Isaac Rousseau, citoyen, et de Suzanne Bernard, citoyenne. Un bien fort médiocre à partager entre quinze enfants ayant réduit presque à rien la portion de mon père, il n’avait pour subsister que son métier d’horloger, dans lequel il était à la vérité fort habile. Ma mère, fille du ministre Bernard était plus riche ; elle avait de la sagesse et de la beauté ; ce n’était pas sans peine que mon père l’avait obtenue. Leurs amours avaient commencé presque avec leur vie : dès l’âge de huit à neuf ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille ; à dix ans ils ne pouvaient plus se quitter. La sympathie, l’accord des âmes affermit en eux le sentiment qu’avait produit l’habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n’attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou plutôt ce moment les attendait eux-mêmes, et chacun d’eux jeta son cœur dans le premier qui s’ouvrit pour le recevoir. Le sort, qui semblait contrarier leur passion, ne fit que l’animer. Le jeune amant, ne pouvant obtenir sa maîtresse, se consumait de douleur. Elle lui conseilla de voyager pour l’oublier. Il voyagea sans fruit, et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu’il aimait tendre et fidèle. Après cette épreuve, il ne restait qu’à s’aimer toute la vie, ils le jurèrent, et le ciel bénit leur serment. » que dans Le Peuple de Michelet : « Ce livre je l’ai fait de moi-même, de ma vie, et de mon cœur. Il est sorti de mon expérience, bien plus que de mon étude-. Je l’ai tiré de mon observation, de mes rapports d’amitié, de voisinage; je l’ai ramassé sur les routes ; le hasard aime à servir celui qui suit toujours une même pensée. Enfin, je l’ai trouvé surtout dans les souvenirs de ma jeunesse. Pour connaître la vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me suffisait d’interroger mes souvenirs. Car, moi aussi, mon ami, j’ai travaillé de mes mains. Le vrai nom de l’homme moderne, celui de travailleur, je le mérite en plus d’un sens. Avant de faire des livres, j’en ai composé matériellement; j’ai assemblé des lettres avant d’assembler des idées, je n’ignore pas les mélancolies de l’atelier, l’ennui des longues heures.. »
Viennent de nombreux écrivains dont je ne citerai que quelques noms : Agricol Perdiguier surnommé « le St Vincent de Paul du compagnonnage » par Proudhon, Jules Vallès, les frères Bonneff, Maxime Gorki, Louis Guilloux, Eugène Dabit, René Fallet, Charles Bukowski… J’ai choisi de mettre en avant, aujourd’hui, les 5 écrivains prolétaires suivants mais peut-être en rajouterai-je au fil de mes publications.
Jean Allemane : Mémoires d’un Communard (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10732741)
Louise Michel : Mémoires
Marguerite Audoux : Marie Claire
Neel Doff : Jours de famine et de détresse
Charles Louis Philippe : Bubu de Montparnasse
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Une réflexion sur “Littérature prolétarienne”