Gaston Jollivet 1842-1927

Encore un auteur que l’on ne peut taxer d’hugolâtrie, ce sympathique Gaston Jollivet. Mais qui était-il me direz-vous ?

Fils d’un député tué en sauvant un soldat blessé lors de la Révolution de 1848, il fit ses études de Droit, tenta de plaider mais sa plaidoirie commencée par un tonitruant  » Monsieur le Tribunal » déchaîna une telle hilarité dans le public et chez les magistrats que son client abattu, déclara « d’une voix molle : J’aime mieux avouer, mon Président. » C’en était fini du métier d’avocat ! Il fit un peu de politique, vécut la guerre de 1870, le siège de Paris et la Commune puis se lança dans le journalisme grâce à Tarbé, Houssaye… Bref, il fut un de ces hommes du XIXe siècle, journaliste, écrivain, vaudevilliste, qui connut tout le monde et dont les souvenirs sont très souvent jubilatoires. Ainsi cette anecdote sur Labiche, qui détestait la musique et qui fut dans l’obligation, lors d’une soirée chez la Princesse Mathilde, de complimenter Liszt après sa prestation : « Brave homme, Labiche se lève en soupirant, fend le cercle qui entourait Liszt assis encore au piano, arrive près du maître et lui frappant suavement sur l’épaule, lui dit de sa voix la plus aimable : « Eh, eh ! Vous devez être content, petit tapoteur. » »

Dans ses Souvenirs d’un Parisien, le dernier de ses livres écrit peu de temps avant sa mort, Jollivet trace en fin d’ouvrage quelques portraits de ceux qui avaient marqué son époque et ce qu’il écrit sur Hugo me met en joie, joie que vous partagerez, j’espère car l’humour de cet écrivain et journaliste met bien en évidence la sinistrose de ceux de notre époque qui prennent au sérieux tous les sujets qui passent entre leurs mains.

« Je ne voudrais pas causer une peine même légère à l’ombre multiple et diverse du grand Victor Hugo, en l’installant seulement au milieu des souverains. Mais comme je n’ai pas réservé, dans cet ouvrage, un chapitre à la Divinité, j’ai cru faire au mieux en réservant à l’auteur des Châtiments ce coin modeste et évidemment indigne de lui.

Victor Hugo a fourni plus de copie aux fantaisistes, plus de mots aux humoristes, plus de calembredaines aux farceurs que Sarah Bernhardt elle-même. Non pas certes qu’on méconnût son génie poétique, mais il y avait une telle vanité naïve, un tel orgueil inné, une prudhommerie si bouffonne en ce grand homme, qu’il ne pouvait moins faire que de susciter la plaisanterie ou la satire. Je crois que le meilleur mot qu’on ait fait sur lui est de Philippe Gille.

Philippe Gille 1831-1901 Journaliste et librettiste

Le spirituel rédacteur du Figaro suppose un dialogue entre Victor Hugo et Leconte de Lisle qui étaient amis comme chien et chat. Les deux poètes se trouvent au Luxembourg. Victor Hugo pensif, assis sur un banc; passe Leconte de Lisle. Ce dernier s’arrête :

Leconte de Lisle : – Vous, cher maître ! Pourquoi ce front chargé d’ombre ?

Victor Hugo : – Je songeais à Dieu. Que lui dirais-je si j’étais soudain rappelé à lui ?

Leconte de Lisle : – Que lui diriez-vous ? Eh bien, vous lui diriez : Cher confrère !

J’ai, comme beaucoup d’autres, décoché des épigrammes au grand homme; je l’ai parfois parodié. S’il a lu les vers que j’ai fait à son sujet, je pense qu’il aura eu pour eux l’indulgence, sinon l’admiration, qu’il ne manquait pas de témoigner aux jeunes ou vieux confrères, qui, de tous les coins du territoire ou même des plus lointaines colonies, lui adressaient leurs fantaisies ou leurs essais. A un potache : »Vous êtes un enfant sublime … vous aussi ! » A un receveur des contributions en mal d’alexandrins : « Mon renom s’incline devant votre gloire naissante. » A une institutrice sexagénaire : « Vous étiez déjà la grâce; vous avez voulu être le génie », etc., etc… En a-t-il débité de la pommade !

Je retrouve un « A la manière de … » que je fis peu de temps après la chute de l’Empire. Ces vers – il y en a peu – amusèrent quand ils parurent. Je les donne comme un signe des temps :

Je hais les abattoirs et je maudis les tirs,
J'ai l'obstination d'être avec les martyrs, 
Je suis doux. Au marteau, je préfère l'enclume,
Et les pigeons plumés à Marton qui les plume.
Si la nounou saisit entre ses bras l'enfant,
Pauvre fleur, doux ciron que son âge défend,
Et le fouette, alors oh crois-le bien, cher Meurice,
Je suis avec l'enfant et contre la nourrice.
Lorsque l'enfant, rêveur cruel, fait prisonnier 
Le hanneton qui ronfle au haut du marronnier,
Le long des grands bois sourds où me lutinait Rose, 
Que pour chasser l'ennui de la classe morose, 
Il lui met à la patte un fil, cruel affront ! 
Ou dans son encrier lui barbouille le front,
Je flétris cet enfant, mais je suis, cœur d'archange, 
Contre le hanneton pour la feuille qu'il mange. "

Et je ris, je ris … Merci Gaston !

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

2 réflexions sur “A la divinité

  1. Quelle jubilation. Oui ce fut une belle époque où chaque mot, de sens profond était utilisé à bon escient, par les gens d’esprit qui étaient légion. Peu ont su, à mon avis, prendre la relève aussi magnifiquement Je n’invente rien en disant qu’on assiste à présent à un nivellement par le bas

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