Il y a 131 ans, Jules Cornély écrivait : « Et pour mon compte, si j’étais directeur d’une Compagnie de chemin de fer, je me ferais couper le poing plutôt que de signer la réintégration d’un seul des grévistes actuels. » Ce journaliste royaliste convaincu, connu et reconnu, qui fonda en 1886 avec Eugène Tavernier le Syndicat des journalistes français et qui en 1899, participera activement à la fondation de la première école de journalisme : l’Ecole supérieure de journalisme de Paris, s’en prit violemment aux grévistes des Chemins de fer, allant jusqu’à retourner l’opinion contre eux. En effet, du 7 au 20 juillet 1891 naissaient les premières grandes grèves des chemins de fer : « Elle débute le 8 juillet à l’initiative de la Chambre syndicale nationale des travailleurs de France, créée en août 1890, pour soutenir les ouvriers du Paris-Orléans en grève afin de faire réintégrer deux militants syndicaux révoqués. Les grévistes se réunissent au Tivoli Waux-Hall, le 18 juillet. Le Tivoli-Vaux-Hall, était une salle de spectacle située à Paris, rue de la Douane. Durant la seconde moitié du XIXᵉ siècle, et durant la Commune de Paris en particulier, elle a hébergé de nombreuses réunions politiques.. […] Les Compagnies de Chemins de fer s’inquiètent des violences proférées par les grévistes et elles demandent au Préfet de Police d’assurer la sécurité des voies aux abords de Paris. Le journaliste du Monde Illustré rappelle « qu’une Loi de 1845 considère comme crime tout attentat commis sur les voies ferrées. » Le Ministre de  l’Intérieur décide de protéger la liberté du travail. Des patrouilles de gendarmes circulent sur les lignes de banlieue. Sur le ligne de l’Est, le génie protège les voies soit en surveillant le service, soit en s’en chargeant. A Noisy-le-Sec, une suite de wagons de marchandises sert de caserne aux soldats à la bifurcation de Belfort, pendant que les gendarmes surveillent le pont-viaduc et ses abords. 6 000 cheminots tinrent bon jusqu’au 21 juillet. La grève s’éteignit d’elle-même et fut suivie de 2 000 révocations environ. » (http://www.noisylesec-histoire.fr/2015/03/juillet-1891-greve-des-ouvriers-des-chemins-de-fer/)

Et voici un article du Père Peinard de la semaine du 19 juillet 1891 :

LES GAS DES CHEMINS DE FER
Depuis une dizaine de jours, il se manigance une grève bougrement sérieuse : c’est celle des employés des chemins de fer. Elle a commencé par les gas de l’Orléans, et voilà que maintenant, ceux des autres Compagnies ont l’air d’emboiter le pas. Le malheur c’est que les politicailleurs foutent leur blair Ià-dedans ! Si ce n’était ça, ça pourrait prendre une riche tournure. Ces jours derniers on a vu dans les rues de Paris, en place des camionneurs, des types quelconques mener les voitures de la Compagnie. A côté de chacun de ces types, un sergot faisait le poireau ; et les bons bougres de se dire : « On protège les nouveaux camionneurs contre les grévistes…
Les aminches, vous n’y êtes pas du tout : c’est pas le turbineur que le flic protégeait, c’est sa sacoche … Je m’explique : les vrais camionneurs sont des gas commissionnés, c’est-à-dire, qu’ils ont aboulé de la galette dans les pattes de la Compagnie, sinon, pas mèche de faire le métier. Cette galette reste en garantie car, dans leurs balades, les commissionnaires touchent pas mal de pognon. Alors, vous voyez d’ici le tableau : les remplaçants n’étant pas commissionnés, les jean-foutres de la Compagnie avaient peur… non pas qu’on casse la margoulette aux nouveaux camionneurs, (de ça ils s’en foutent !) mais que les types oublient de ramener le camion et la sacoche …  » Ah, nom de dieu, que me disait le zigue qui m ‘expliquait le truc, si on s’était doutés du coup, ce qu’on te les aurait empêché de marcher les camions ! La veille on aurait dévissé la boite, enlevé la goupille, puis revissé la boite … Le lendemain, personne n’y aurait vu que du feu ! Les camion seraient sortis, auraient roulé dix minutes, … et patarouf les roues auraient déguerpi de l’essieu … » Hein, le jaspinage du camaro n’est pas trop moche ?
« Mon vieux, que j’y ai fait, t’es à la hauteur l je te paie une chopote, foutre … « 
Après les mineurs, c’est les gas des chemins de fer qui mènent la mécanique sociale par le bout du nez. Que demain ils se tournent les pouces, et rien ne va plus, tout s’arrête!
Eh foutre, c’est pas pour dire, mais ils auraient bougrement raison de battre un peu leur flemme. Savez-vous bien, les camaros, qu’ils se crèvent à la peine ? Et pourquoi ?
Pour engraisser toute une bande d’actionnaires, qui n’ont jamais de leur putaine de vie, fait autre chose que de farfouiller dans les poches du pauvre monde. Oui, ils auraient rudement raison de mettre carrément les pieds dans le plat ! Pourtant, ils ne le font pas: ils sont gnan-gnan que ça fait peur. Les Compagnies leur ont serré la vis jusqu’à plus soif, et les gas se laissaient faire sans se rebiffer … A force, ils se sont tout de même foutus à cran ! Mais, si peu ! si peu !
Bast, faut pas désespérer, c’est pas des poules mouillées que les bons bougres en question. Si ce coup-ci, ils ont la déveine de se laisser embobiner par les politicards. Ce dont j’ai bougrement crainte ! Ça ne sera pas toujours le même fourbi : quand ils auront vu que les politicailleurs, c’est des masturbeurs et des larbins des Compagnies, ils les enverront aux pelotes … Et marioles, ils feront leurs affaires eux-mêmes. (Le Père Peinard) Evidemment je n’ai pas besoin d’insister sur l’étrange similitude avec notre époque.

Seulement en 1891, il existait des journalistes dignes de ce nom et Victor Fournel, connu sous les pseudonymes d’Edmond Guérard et aussi Bernardille, était un de ceux qui possédaient une haute opinion de la vérité; c’est pourquoi, prenant la défense des travailleurs, il répondit aussitôt par un opuscule, Les Chemins de fer devant l’opinion publique, pour remettre à sa place ce Jean Cornély dont il écrira lui-même, dans l’appendice :  » Au chroniqueur du Matin, qui avait eu la prétention d’esquisser l’existence pleine de douceurs d’un employé de Chemin de for, j’ai répondu en mettant à nu la scandaleuse exploitation dont est l’objet ce modeste travailleur, et en exposant la situation véritable et vraiment digne d’intérêt qui lui est faite par les Compagnies dont il vantait la bonté et la générosité. Sans doute, il objectera que les renseignements précis qu’il donnait lui avaient été transmis par une personne honorable, dont il n’avait pas osé mettre en doute la parole. Mais je lui répondrai que son métier consiste à savoir ou chercher à démêler la vérité pour la faire connaître, quelle qu’elle soit, à ses lecteurs. Je conserve l’espoir qu’à l’avenir ce journaliste se montrera plus circonspect, et ne parlera que de ce qu’il connaît. Quoi qu’il en soit, il est impossible de sortir de ce dilemme : Ou ce monsieur a cru naïvement que ce qu’il disait était vrai, et alors il y a beaucoup de chances pour qu’il soit un imbécile. Ou il n’ignorait pas qu’il mentait, et, dans ce cas, il n’y a pas de doute : c’est un drôle ! »

Victor Fournel 1829-1894


Les écrits de Cornély avaient choqué Fournel au point qu’il se servit d’une de ses phrases comme exergue de son chapitre sur l’autorité patronale :

Fournel décide de faire son travail de journaliste et défend la cause ouvrière. Le début de ce chapitre donne une idée de ce que fut ce petit ouvrage :

Ne devrait-on pas offrir à tous nos journalistes corrompus, aux ordres des politiques et du grand patronat et très souvent incultes, ces 30 petites pages ?

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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