Aujourd’hui, un héros de la résistance à l’hugolâtrie, journaliste de son état et surtout fin critique littéraire, mais totalement tombé dans les oubliettes de l’histoire. Benoit Jouvin est un grenoblois qui en bon fils de bourgeois vint faire ses études de droit à Paris mais le décès de son père l’obligea à trouver un emploi et pour un jeune homme cultivé, fréquentant les cafés littéraires, rien de mieux que le journalisme. A partir de 1843, il devint critique musical et théâtral au Globe, puis à L’Epoque.

Mais c’est en suivant son ami Hippolyte de Villemessant, ce patron de journaux, dont le plus célèbre est Le Figaro, hebdomadaire satirique créé en 1826, qu’il racheta en 1854 pour en faire un quotidien et le journal que l’on connaît encore aujourd’hui. Villemessant fut le journaliste incontournable du XIXe siècle d’ailleurs, voici ce qu’en dit Adolphe Racot (1840-1887) dans Portraits d’aujourd’hui : « Prenez un à un tous les journalistes, tous les chroniqueurs, courriéristes polémistes, tout ce qui tient une plume et sait en faire couler l’actualité, le mot, la verve claire tout ce qui marque encore, à tous les degrés dans la presse parisienne encore vivante tous ont passé par l’école de Villemessant. Tous en ont appris le métier. Chacun a pu ensuite tourner comme il a voulu, renier le professeur et même le vilipender. Tous lui doivent sinon leur valeur du moins l’art de la faire valoir. Et il faut le proclamer bien haut, ne serait-ce que pour la reconnaissance de l’estomac c’est Villemessant qui a permis à quiconque tient une plume, d’en vivre au lieu d’en mourir. L’homme était brutal et bon. Il aimait pardessus tout l’esprit, l’activité. Il flairait le talent encore latent et ne se trompait guère. Par exemple, quand il s’était aperçu qu’il s’était trompé, il devenait terrible. Ses gros yeux sortaient de sa tête forte comme celle d’un bœuf et cette apostrophe, y eût-il là dix témoins, jaillissait de sa gorge toujours enrouée : « Ah vous étiez donc un imbécile. »
Il employait même parfois un autre mot qui ne peut être reproduit même dans le dictionnaire de l’argot du boulevard. »

Hippolyte de Villemessant 1810-1879


Mais dans ce milieu, Benoit Jouvin n’était pas toujours très apprécié, voila pour preuve un texte de Maxime Rude, pseudonyme d’Adolphe Perreau (1841-1891), journaliste aussi, qui laissa ses souvenirs sous le titre de Confidences d’un journaliste : « Le plus antipathique des hommes est certainement M. Jouvin, — autre gendre et collaborateur de M. de Villemessant. Je me suis rencontré plus d’une fois avec lui, — surtout aux bureaux de l’imprimerie, quand il y venait corriger un de ces articles prétentieux, lourds, assommants, où il expectore ses lectures mal digérées, comme un cuistre, et où l’importance qu’il veut se donner crève, dès qu’on y touche, comme une vessie sous la pointe d’aiguille. On dit que c’est un critique musical des plus compétents, — je le veux bien. Mais littérairement, il est insupportable, odieux. Ce n’est même pas du macaroni que cette langue pâteuse qu’il s’applique à tuyauter avant ‘de la servir : c’est une colle blanche de cordonnier.. M. Jouvin, malgré ses préciosités, manque de race, comme écrivain autant que comme causeur. C’est pourtant difficile. Je n’ai jamais entendu langage plus commun et, pour tout dire, — plus grossier. M. de Villemessant, au milieu de ses rédacteurs, ne se pique pas d’être un délicat, mais le mot cynique se fond dans un éclair d’esprit. B. Jouvin n’a que le mot. Et avec cela, une insolence de mauvais goût qu’il porte, du reste, sur sa blême figure à lorgnon, le nez retroussé au vent, et qui se trahit jusque dans sa démarche traînante. Des années ont passé depuis que je ne l’ai vu pour la dernière fois à l’imprimerie Kugelmann, rue de la Grange-Batelière : il est toujours aussi ennuyeux en écrivant; je ne sais si l’âge a châtié sa parole (car il n’a que trois ans de moins que son beau-père) ; si M. Jouvin m’intéressait, je le souhaiterais pour sa dignité. »

Il ne fut pas le seul à éreinter Jouvin qui, intelligemment, fit son propre portrait, dans Le Figaro, pour répondre à ses détracteurs.

Benoit Jouvin 1818-1886

Oui, Jouvin devint en 1853, le gendre de son ami Villemessant, en épousant sa fille aînée, de 23 ans sa cadette. Il deviendra avec Villemessant rédacteur en chef du Figaro et se taillera rapidement une réputation grâce à ses portraits acerbes auquel son beau-père fait référence dans ses Mémoires d’un journaliste (tome II). Il consacre tout un chapitre à cet ami et reproduit quelques-uns des portraits qu’il écrivit et qui lui attirèrent la haine d’un bon nombre. Et voici qu’il osa s’attaquer au Maître en personne : vous imaginez bien que dans le monde hugolâtre, la pilule eût du mal à passer :

Et bien moi je trouve cette analyse objective. En effet, il suffit d’avoir lu Hugo, non pas dans une de ces éditions abrégées mises à la mode par l’Education Nationale, pour adhérer à la critique de ce héros que fut Benoit Jouvin.

Addendum : Je tiens à faire remarquer qu’un journaliste était alors assez indépendant pour avoir le courage d’exprimer ses critiques fussent-elles adressées à une personnalité adulée.

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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