1/ Odile

Elle avait pour nom Odile mais un artiste local avait tenu à personnaliser sa manière de le prononcer. Jouant sur les sonorités de ce prénom, somme toute commun, il prolongeait le i et différait la prononciation du l en laissant la langue enroulée contre le palais ! 15 ans après, je ris encore de ce natif prétentieux, qui exposait régulièrement dans une de ces provinces françaises où fleurissent les associations d’artistes.

Odile appartenait à cette catégorie de femmes qui, au déjeuner, devant un verre de vin, éprouvaient le besoin d’exprimer leur sobriété par un : « je ne bois jamais le midi, mais je vais faire exception. » C’est dans la chaleur du Sud, que j’entendis pour la première fois cette phrase étonnante, au pays des cigales et du vin. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que ce n’était qu’un pudique euphémisme. C’était une manière de camoufler leur alcoolisme ordinaire qui ne s’exprimait pleinement qu’en soirée. C’est dans cette province reculée que je passais des soirées avec des femmes avinées, étalant, sans complexes, leurs problèmes de couple, leurs positions sexuelles, en riant à gorge déployée ou bien finissant sous la table, le cul par terre, les jambes écartées, attendant que le mari, souriant et gêné, vienne relever celle qui l’avait humilié toute la soirée. Le bovarisme n’a pas disparu, les femmes de cette province s’ennuient et attendent désespérément ceux qui les sortiront de cette léthargie. Elles ne vont pas jusqu’au suicide car elles peuvent s’évader à Paris, régulièrement.

Odile avait épousé un directeur artistique prometteur mais l’alcool aidant, il avait disparu de la scène de la mode parisienne et d’un commun accord, ils étaient venus s’enterrer dans ce trou verdoyant, au pied des falaises. Fille de riches provinciaux, Odile était heureuse de revenir chez elle, embellie par la touche parisienne qu’enviaient ses anciennes amies, mais cela ne suffit apparemment pas à son bonheur. Elle oubliait ses déceptions en recevant et en buvant, en souriant et en piquant, et en regardant jouer sa fille, seul compromis qu’elle avait accepté de faire à son mari.

Cette relation se termina simplement, sans histoire après une soirée trop arrosée, nous repartîmes chez nous, fatigués. C’était fini. Quelques mois après, nous déménagions sans nous retourner pour dire adieu.

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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