Avant que vous ne lisiez ce texte, je tiens à partager avec vous la réponse d'un éditeur à qui je l'ai envoyé afin d'avoir un conseil pour me repérer dans le milieu éditorial. J'avais effectué, pour sa maison d'édition, plusieurs corrections de textes, à titre gracieux, aussi je pensais qu'il aurait la délicatesse de trouver des informations pour m'aider un peu. A-t-il pris la peine de le lire ce petit texte, je ne sais mais voici le mail reçu : 
Chère Jeanne, 
merci de votre envoi. J'avoue que je ne vois pas bien quel éditeur vous conseiller (je n'en connais pas tant et surtout ce qu'ils font précisément, en terme de diversité). Il me semble du reste qu'il faudrait que vous trouviez un éditeur qui prenne des livres relativement courts car une trentaine de textes comme ceux que vous m'avez envoyés ferait un nombre de pages assez limité.  J'espère en tout cas que vous trouverez, bien à vous,                                                                                                                           
Tant de considération me bouleverse


Dans l’immeuble du 84 de la rue du Faubourg Saint-Denis, la vie était réglée par les vidanges des pots de chambre dans les goguenaux des 4ème et 5ème étages, par l’essorage de la salade et par le manège des sœurs Coquelet. Ce manège commençait par la vidange du pot qu’elles apportaient cérémonieusement le matin au moment où les enfants partaient à l’école. Alors poliment nous saluions la demoiselle qui était préposée à la tâche et elle répondait dignement, enveloppée dans sa robe de chambre en pilou de couleur indéfinissable. Lorsque je rentrais déjeuner, je rencontrais l’autre sœur qui brossait énergiquement avant de l’éplucher avec méticulosité un malheureux chiffon à poussière qui chaque matin servait à essuyer le semblant de vie de ces demoiselles. Ce minutieux labeur s’accompagnait régulièrement du lavage de la serpillière : l’eau coulait abondamment pour nettoyer ce qui était invariablement propre. C’était dans ces moments qu’elles pouvaient faire leurs curieuses, tendant l’oreille et regardant par la petite fenêtre de l’escalier qui donnait sur le Passage du Désir où les demoiselles Coquelet trouvaient matière à une multitude d’anecdotes qui faisait leurs soirées.
Ces deux demoiselles, vieilles filles sans âge, vivaient depuis plus de quarante ans dans une mansarde située en haut d’un petit escalier niché au fond du long couloir du 4ème étage. Je me souviens de l’odeur de propre qui régnait dans leur cuisine aux meubles en bois peint et au lino marron brillant de cire sur lequel on évoluait sur des patins. Mais plus que tout l’énorme lit conjugal en bois recouvert d’un gros et douillet édredon rouge me fascinait. Il trônait au milieu de leur unique pièce. Curieuse, mais n’omettant pas de grignoter le Petit Lu ramolli que m’avaient gentiment offert les deux sœurs, je m’interrogeais sur cette intimité qui prenait toute la pièce. J’appris un jour que les deux sœurs à la mort de leurs parents avaient naturellement pris possession de ce lit où elles avaient été engendrées puis enfantées. Quels émois y avaient-elles connus, ces fiancées sacrifiées par la Grande Guerre ?
Lorsqu’elles devinrent impotentes, deux voisines fleurant l’héritage s’occupèrent d’elles, leur vendirent leurs 30 m2 et les placèrent dans un hospice. Cinquante ans passés dans une cuisine et une chambre éclairée par des lucarnes se terminèrent dans le box sordide d’un triste mouroir de la banlieue parisienne et dans le train qui me ramenait chez moi je sentais s’envoler mes dernières illusions de jeune fille.

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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