Nous vivons dans le monde de la communication, c’est certainement pour cette raison que les clubs, agences, sites de rencontres pullulent sur Internet, il en existe pour célibataires de tous sexes, de tous âges, pour coreligionnaires, pour ados isolés, pour geeks, pour consommateurs de cannabis, pour alcooliques, désirant flirter, copuler, cocufier, se pacser ou se marier. Dans un souci d’égalité, les ruts de nos animaux domestiques ont aussi été mis sur petites annonces : Médor cherche Bibiche pour copulation et plus si affinité. Et un illuminé a même tenté de lancer un site de rencontre pour pédophiles mais apparemment cela a échoué : notre société a des principes quand même ! Les noms de ces officines évoquent les fantasmes de chacun : meetic, e-darling, célibataires du Nord, attractive world, elite rencontre, e-mazal, mektoube, Just Senior, Notre Dame des rencontres, #loveyourimperfections, adopteunmec.com. Ce dernier site, le plus hype, répertorie en une méthode digne des meilleures écoles de marketing les hippies, les hipsters, les rockers ou tout simplement les produits régionaux afin que les femmes les plus libérées y trouvent le mec qui conviendra à leurs fantasmes. Lorsque j’étais jeune, j’entendais des dames parler de possibles rencontres grâce au Chasseur Français, je me souviens avoir été lire ces petites annonces en cachette pour comprendre la signification de ces conciliabules et je découvris non seulement les petites annonces mais aussi les agences matrimoniales, il y en avait quelques-unes avec pignon sur rue mais cela se faisait en toute discrétion. Il fallait être initiée, c’était assez excitant ce mystère autour de ces femmes et ces hommes qui cherchaient l’âme sœur. Des rumeurs couraient pour mettre en garde les dames contre de possibles prédateurs sexuels. On rappelait l’Affaire Landru et ses petites annonces matrimoniales :

C’est ici sous le nom de Fremyet que Landru recrute ses victimes. Il utilisera plus de 90 patronymes

Mais avant tout, c’était l’époque de la traite des Blanches contre laquelle on tentait de protéger toutes les femmes en âge d’allumer la concupiscence de ténébreux Argentins, de malfaisants Maghrébins, d’obscènes Maliens. Quelques destinations, prisées par les diffuseurs de rumeurs, revenaient régulièrement dans les mises en garde maternelles. C’est ainsi que Tombouctou, Alger, Tanger, Buenos Aire devinrent les villes dans lesquelles se pratiquaient les pires sévices sexuels, les grandes places du trafic des esclaves sexuelles.

Ce moyen de rencontrer l’autre n’est pas l’apanage de notre époque et encore une fois le XIXe siècle fait office de novateur en ce qui concerne les agences proprement dites. Mais les entremetteuses, les marieuses ou les marieurs n’ont jamais chômé dans toutes les civilisations, les contes, les romans, les traditions en sont tous témoins. Notre XVIIIe siècle vit apparaître des agences d’affaires dont une des branches s’occupait des mariages. Mais c’est en 1825 que fut ouverte la première agence matrimoniale par Monsieur de Foy, un homme dans le style du personnage décrit par Paul Féval, en 1865, dans son roman : La Fabrique de Mariages : Enfin la profession valait l’homme et le nom. M. Garnier de Clérambault, par ses relations dans le grand monde (ceci faisait partie de ses prospectus), par sa position de fortune et de moralité, par la confiance qu’il avait su inspirer aux familles, pouvait prêter son entremise utile aux célibataires ou veufs des deux sexes, désirant contracter mariage. Il avait l’honneur d’offrir aux amateurs des dots liquides et sérieuses, depuis trois cents francs jusqu’à sept millions quatre cent vingt mille six cents soixante-cinq francs. Il ne plaçait que des rosières, et, quant aux épouseurs, il répondait de leur ingénuité sur sa propre tête. Il mariait les humbles aussi bien que les puissants. Son carnet bienveillant s’ouvrait aux cuisinières sur le retour, tout comme aux jeunes princesses polonaises; il accueillait même les demoiselles du quartier Breda1, pourvu qu’elles eussent de la candeur et des économies. Son personnel, en fait d’hommes, embrassait l’ordre social tout entier. Il avait entre les mains des cœurs de porteurs d’eau, des cœurs d’avoués en mal d’étude non payée, des cœurs de professeurs, des cœurs d’artistes, des cœurs de généraux et même un cœur de banquier !

A la fin de ce siècle tant décrié par nos contemporains, 150 agences se partageaient le marché du mariage sur Paris : les sérieuses et les autres, celles qui mariaient en demandant un pourcentage sur la dot ( pas plus de 10%) et celles qui escroquaient en demandant de l’argent avant la conclusion de l’affaire : L’escroquerie au mariage s’exerce à Paris sur une vaste échelle. Nous n’avons, bien entendu, dans cette étude qu’à nous occuper des gens qui professent cette escroquerie comme un métier et qui, par conséquent, ne se marient pas en réalité, mais feignent de vouloir se marier ou encore servent d’intermédiaires. En un mot, ce sont les candidats professionnels au mariage et les agences matrimoniales que nous avons en vue. […] Quant aux agences matrimoniales sans nier qu’il y en ait quelques-unes (bien rares) d’honorables elles sont presque toutes des miroirs aux alouettes. La charge admirable que Labiche en a tracée dans La Cagnotte est plus près de la vérité qu’on ne pense. Elles n’ont pour clients que des niais ou des escrocs. Quel est l’homme raisonnable qui a recours à une agence pour se marier ? Quelle est la femme ayant quelque dignité, quelque intelligence, qui puisse s’adresser à ces intermédiaires ? Les vieilles filles aigries par le célibat, repoussées en raison de leur laideur ou de l’âcreté de leur caractère, se laissent seules piper par ces annonces mirifiques où un jeune homme brun, ayant besoin d’aimer, cherche une âme sœur de la sienne. La vérité est que seuls les gens- sans vergogne sont sensibles à ces réclames, mises à la quatrième page de quelques journaux, où « une orpheline de vingt ans ayant deux millions de dot demande un homme sérieux, ayant un nom honorable. » L’homme sérieux, vous le connaissez. C’est un gentilhomme décavé, ruiné de toutes pièces, corps et âme usés, qui flaire une aubaine. Alors même que l’orpheline aurait commis une faute, il n’hésite pas. Il court à l’agence. Il est reçu par une matrone extrêmement bijoutée qui demande, au préalable, le versement d’une commission. Modeste d’ailleurs, la commission quelques louis. On montre une photographie de l’orpheline très bien l’orpheline Forte, corpulente, potelée, le sourire aux lèvres. Elle paraît peut-être un peu plus que son âge, mais une orpheline a toujours eu tant de chagrins que ce n’est point surprenant. La maîtresse de l’agence, souvent doublée d’un mari à l’avenant, chauve, bedonnant, et d’apparence honnête, prépare une entrevue. L’entrevue, c’est la petite soirée de rigueur. Ai-Je besoin d’ajouter que ta soirée se paye à part ? Encore quelques louis que le gentilhomme extirpe de son porte-monnaie. La soirée se donne à l’agence « Nous avons des salons très convenables, monsieur » ou, ce qui est le fin du fin, chez un oncle, ancien armateur, à moins que ce ne soit un ancien consul d’une République américaine. Le soir attendu, béni, arrive enfin. Labiche, avec cette divination dans la fantaisie qui lui est propre, en a indiqué le cérémonial. Tous invités de belle allure le vieil oncle légitimiste, la tante à héritage, le cousin germain qui est dans la « commission ». On y ajoute suivant les prix un vieux colonel ou un ancien sous-préfet (ce ne sont pas les anciens sous-préfets qui manquent). […] Ai-je besoin d’ajouter que le mariage ne se conclue jamais, que la future change d’idée » et que les louis de la commission et ceux de la soirée tombent dans la poche de l’entrepreneur. A escroc, escroc et demi. écrivait, en 1893, dans son ouvrage Les malfaiteurs de profession, Louis Puibaraud, Docteur en Droit et haut fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur .

Et dans chaque grande ville de Province, l’on ne trouvait pas moins de 10 agences matrimoniales. C’était un commerce lucratif ces entreprises commerciales, patentées et relevant des tribunaux de commerce. La publicité se faisait par l’intermédiaire des journaux ou de prospectus. Ce commerce était devenu tellement à la mode que les auteurs les prenaient pour sujet dans leurs pièces, ainsi Labiche dans La Cagnotte (1864) ou Rougemont et Désaugiers dans La Matrimonio-manie, ou Gai, gai mariez-vous ! (1812) ou dans leurs romans, ainsi Paul Féval, cité ci-dessus ou Ponson du Terrail, le célèbre feuilletoniste, dans Les Gandins :

« Enfin , il s’arrêta devant le numéro 17, et, avant d’en franchir le seuil, il tira un journal de sa poche, le déplia, chercha la quatrième page et relut l’annonce anglaise suivante : 

MARIAGES 

Madame la Vicomtesse de Vertpré-Santeuil rappelle aux mères de famille que ses vastes relations dans le monde lui permettent de s’occuper avec fruit des négociations les plus délicates. 17, rue de la Michodière, de midi à cinq heures, les mercredis, vendredis et samedis.« 

Certains journaux ne se consacraient qu’à la diffusion de petites annonces comme L’Hyménée, le Journal des Familles ou encore Les Mariages honnêtes. Dès 1804, ces articles choquent certains voyageurs comme August von Kotzebue qui relate dans Souvenirs de Paris : Il ne se passe pas une semaine à Paris; où l’on ne trouve quelque proposition de mariage dans les feuilles publiques. On ne sait pas toujours ce qu’il en résulte; cependant il est à parier que cela réussit souvent: sans cela on ne ferait pas un usage aussi fréquent de ce moyen. […] « Un célibataire de quarante ans versé dans la littérature, d’une société aimable, de mœurs douces, de bonne famille, et assez riche; cherche une femme ou veuve sans enfants, de vingt-six à trente-quatre ans, bien élevée, sensible, et dans l’aisance, pour s’unir à elle, et couler ensemble des jours heureux».[…] « Une demoiselle de trente ans, bien née, ayant 1600 francs et un joli mobilier, désire s’unir légitimement avec un homme de trente-six à quarante-cinq ans, qui ait de bonnes mœurs, une place dans un bureau, ou quelque chose par devers lui.

Aujourd’hui, s’inspirant des Comices agricoles, des associations d’altruistes ont mis en place l’idée géniale de réunir dans des salles des fêtes de chefs-lieux de canton des célibataires en quête d’amour. L’on ne les pèse pas, on ne regarde pas leur dentition mais de bonnes âmes se démènent pour créer des couples, tout est préparé avec la plus grande minutie :  » A votre arrivée vous vous inscrirez sur une fiche comprenant 4 parties. La partie sur laquelle figure vos coordonnées est confidentielle et sert à l’association à vous informer par sms ou par courrier des dates des prochaines manifestations. Les trois autres parties servent aux timides pour écrire aux célibataires choisis au cours de la manifestation. L’association vous fournit trois enveloppes et vous aide aussi à remettre votre courrier à la personne qui vous plait si vous n’arrivez pas à le faire vous-même. Chaque enveloppe doit contenir un moyen permettant à l’âme sœur de vous contacter pendant ou après la manifestation (téléphone, E-mail, adresse postale). Dès que vous êtes dans la salle, et que vous avez choisi la ou les personnes qui vous attirent, vous pouvez commencer à écrire. Demandez à nos bénévoles de donner votre courrier à l’âme sœur si vous n’osez pas le faire vous même. » (sic.). Cela s’appelle la Foire aux célibataires. Dans les grandes villes, on parle plus facilement de Salon du célibataire mais les attractions sont les mêmes : musique, bal, bar avec ambiance tamisée, dîner et pendant 3h30 le clou du spectacle : le speed-dating c’est-à-dire en français rencontres rapides, bref une sorte d’entretien d’embauche de 7 minutes, ce qui permet de faire en trois heures trente le plein de célibataires. Je cherche sur Wikipédia d’où vient cette manière de trouver l’âme sœur : « La méthode a été créée par le rabbin Yaacov Deyo de Aish HaTorah aux Etats-Unis à la fin des années 1990. Deyo avait pour objectif de préserver la culture juive en poussant aux mariages intracommunautaires. La méthode s’est depuis propagée aux autres communautés, puis à d’autres pays. » Et bien la boucle est bouclée, l’on revient aux mariages ou rencontres endogamiques : même milieu, même religion, même couleur de peau … car en 7 minutes seuls ces aspects de l’autre ressortent. Alors quelle différence avec les mariages du XIXe siècle tant décriés par nos féministes avant-gardistes ?

1/ Quartier Breda :  Sous Louis-Philippe, apparurent près de l’ancienne rue de Bréda, les lorettes (un type de jeune femme élégante vivant de ses relations avec des hommes selon Larousse) qui devaient leur nom à l’Eglise Notre-Dame-de-Lorette située dans ce quartier que l’on appela le Nouvelle Athènes en raison de l’architecture des hôtels et des artistes philhellénistes qui y vivaient

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

6 réflexions sur “Rencontres

      1. Je ne suis pas la seule à être émue et admirative de votre si belle plume que « j’adore ». C’est un réel enchantement de vous lire, et de vous relire en boucle, afin de se laisser envahir par cette atmosphère, au parfum d’antan, si particulière dont vous nous livrez tous les secrets . Soyez vivement remerciée et encouragée pour cet extraordinaire travail d’archives si complémentaire et adapté à votre talent d’écrivain

        Aimé par 1 personne

  1. Je viens de lire une fois encore et avec toujours le même intérêt votre texte sur le commerce , si je puis dire, des rencontres. Je crois pour en avoir fait l’expérience, à mon insu, (😂 j’ai trouvé l’âme soeur moi même sans l’aide de personne!!)que le principe de Facebook met en Contact beaucoup plus de gens qui se découvrent alors des passions en commun…et si affinités là  » plus  » peut aussi advenir pour eux, entre eux🙄. J’ai vu le cas pour pas mal de couples heureux d’avoir chacun été ami d’un ami qui a une liste d’amis sans fin où chacun peut puiser de ‘ouvelles fréquentations et finir de heureux hasards en heureux hasards , par trouver chaussure à son pied. A mon avis les agences matrimoniales, à cause de la gangrène Facebook, risque fort tôt ou tard de fermer pignon sur rue. Cette nouvelle tendance semble faire mondialement fureur tout en restant le nez collé sur son ordinateur pour sélectionner la meilleure offre. Nouvelle génération , autre temps. L’avenir se dessine ainsi , j’en aperçoit la silhouette 😂Qu’en pensez-vous, chère auteur e que j’aime? Je vous souhaite un bon week-end 💕

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    1. Je suis tout à fait d’accord avec vous. D’ailleurs aujourd’hui, la jeunesse passe par différents sites de rencontre dédiés aux jeunes et ils se rencontrent pour boire des pots, discuter … Je suis abasourdie par ce phénomène mais apparemment les rencontres spontanées deviennent de plus en plus difficiles. Mais pourquoi pas, ces réseaux permettent des rencontres quelquefois amoureuses, souvent amicales et jamais il ne me viendrait à l’esprit de les critiquer. Mais je regrette l’époque chaleureuse de ma jeunesse où l’on rencontrait les gens sans passer par des réseaux mais vous l’avez remarqué, chère Marieanne, je suis une nostalgique. Très bon week end à vous et merci pour les belles photos et vidéos de la naissance du printemps.

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