C’est un fait : le bourgeois se devait de mépriser la prostituée des rues, en revanche il aimait se montrer au bras d’une danseuse, d’une chanteuse ou d’une comédienne. Ces femmes flattaient son ego. Elles étaient belles, élégantes, drôles, parfois canailles : le paradis pour ces hommes beaucoup moins austères que l’image véhiculée par les historiens et autres intellectuels médiatisés.

Aurélien Scholl, par exemple, aimait collectionner les actrices, elles lui inspiraient ses romans ou ses nouvelles : « ça fera de la copie ! » s’exclamait-il après chaque aventure licencieuse.

Quant à Jules Janin, jeune homme ou homme mûr , il profitait de sa position de critique réputé et écouté pour réclamer sa petite récompense.
Si l’on garde encore des illusions sur le métier de comédienne, Marie Colombier, 1er prix de tragédie en 1863, se charge de nous ouvrir les yeux. Dans ses Mémoires, elle écrit : » Le Conservatoire d’alors présentait une physionomie toute particulière que lui ont fait perdre depuis nos mœurs nouvelles, plus pratiques qu’élégantes. L’inévitable commerce de la galanterie s’y relevait par un certain ton de convenance, et par le mystère décent dont il s’environnait. Au lieu d’avoir comme aujourd’hui de simples commanditaires, dont le rôle se .borne à verser des mensualités plus ou moins opulentes, les jeunes personnes avaient des protecteurs âgés, sérieux, presque toujours en possession de situations importantes et de charges à la Cour elles passaient pour leurs pupilles, et les réalités de l’amour étaient déguisées pour le public sous cette demi-paternité. Maréchaux,amiraux, officiers de la maison impériale, ces « protecteurs » étaient, pour les futures actrices, beaucoup plus et beaucoup mieux que les bailleurs de fonds qui les ont remplacés. Ils facilitaient à leurs aimables filleules, par leurs hautes influences, les progrès de la carrière dramatique, et les suivaient de leur sollicitude depuis le Conservatoire jusqu’à la Comédie-Française. Ils se chargeaient de leur avenir artistique, en même temps qu’ils subvenaient aux nécessités matérielles du présent. Au reste, cette protection était fort peu coûteuse. Les élèves du Conservatoire avaient encore un peu de l’âme de la grisette, et se comportaient envers leurs nobles parrains, dans la question d’argent, avec un désintéressement qui paraîtrait à la génération suivante d’une naïveté bien surannée. Ces petites Célimènes acceptaient, pour quinze louis par mois et quelquefois moins, d’ensoleiller la vieillesse d’un héros chevronné d’Afrique ou de Magenta. On ne les avait point instruites à détailler leurs sourires le plus cher possible, et la culture de ces jeunes fleurs de théâtre n’était pas une distraction ruineuse pour les vieux guerriers. Ils y trouvaient à la fois des avantages économiques et la satisfaction de cet instinct moitié paternel, moitié pervers, qui fait rechercher par les Arnolphe quinquagénaires les Agnès de dix-sept ans. » Au moins Marie Colombier, et il faut le reconnaître comme beaucoup d’autres de ces congénères, était franche et estimait qu’elle n’avait pas, cette « insigne putain bien connue » selon Goncourt, à mentir sur ce qui permettait à ces jeunes filles de réussir.
Dans notre monde libéré, aucune de ces actrices connues et reconnues, n’a la franchise de dire ce qui lui a permis d’être promue au rang de starlette ou de star, apparemment elles doivent leur réussite à leur seul talent ! C’est pourquoi des journalistes et autres troublions viennent se répandre en compliments serviles devant leur beauté, leur talent , leur intelligence, leur culture, leurs réparties, leur humour et tout le reste. Et de fil en aiguille, cela donne à ces demoiselles le droit de donner leur avis sur tout, le droit de nous donner des leçons de vie, de morale, de bien penser, bien manger, bien vieillir, bien élever ses enfants, bien aimer, bien voter et tout le reste ! Que tout cela est avilissant ! Non pas que ces femmes se donnent pour avoir la gloire mais qu’elles ne l’assument pas ! Notre société permissive serait-elle donc plus réactionnaire que celle du XIXe siècle ?
Tous droits réservés : Jeanne Bourcier