La plupart des gens entendent par ces mots : être bien mis , être déguisé en quelqu’un de plus riche que soi .

Je veux aujourd’hui, remettre à l’honneur un auteur, aujourd’hui oublié par les éditeurs : Alphonse Karr. Parler de lui ne servirait de rien, en revanche, les extraits que j’ai choisis donneront une idée de son intelligence et de son esprit, extrêmement appréciés au XIXe siècle, certains allant jusqu’à dire qu’il représentait avec Aurélien Scholl, l’esprit boulevardier, ce que je trouve réducteur. Eugène de Mirecourt a laissé une petite biographie de Karr dans Les Contemporains, rappelant son originalité, sa liberté d’esprit, sa misanthropie, sa fascination pour le jardin et les plantes (un bambou, une poire et un dahlia portent son nom), parfois ses erreurs et ses excès : mais de tout cela ressort un personnage plutôt sympathique qui sut se faire aimer et détester et qui 130 ans après sa mort nous étonne et nous amuse par son regard sur la société et les hommes. Pour moi, Alphonse Karr appartient à cette espèce rare d’hommes supérieurement intelligents qui pour survivre dans la société n’ont pas d’autres moyens que d’être les plus originaux possible afin que les hommes plus médiocres les laissent vivre leur vie comme ils l’entendent.

Eugène de Mirecourt (Charles Jean-Baptiste Jacquot, 1812-1880) Journaliste et écrivain

La passion de l’écrivain pour la marine et pour les fleurs ne l’empêchait pas de satisfaire aux nombreuses commandes qui lui étaient adressées par les libraires parisiens . Il écrivit à Étretat de charmantes nouvelles , dont le recueil fut publié sous le titre de Vendredi soir […]. Mais que d’amusantes digressions , que de spirituels commentaires , que d’idées sérieuses , que de chamantes broderies jetées sur ce canevas étincelant ! Il n’est pas un abus , pas un ridicule , pas un travers du siècle que M. Karr n’ait flagellé sans miséricorde . Grâces lui en soient rendues ! Il y a trois choses surtout dans l’ordre social qui excitent la bile de l’auteur des Guêpes , les avocats , les circonstances atténuantes et les marchands qui vendent à faux poids ou falsifient les denrées. Sa voix est au service de toutes les grandes idées , de toutes les inventions utiles. […]. C’est un original et constant fantaisiste , que nous n’avons à convaincre ni de mauvaise foi , ni d’imposture , …

Mais laissons la parole à Alphonse Karr :

Savez-vous ce que c’est qu’un mariage de convenance, Magdeleine? c’est la plus sale, la plus ignoble de toutes les prostitutions. Oui, répétât-il, répondant à un mouvement de surprise de Magdeleine, la plus sale et la plus ignoble.
Qu’est-ce que la prostitution, sinon les conséquences de l’amour sans l’amour, l’union des sens sans amour? Qu’est-ce que le mariage de convenance? et comment une femme peut-elle se résigner à s’abandonner aux bras d’un homme, de sang-froid, sans y être jetée involontairement par une douce ivresse et par un irrésistible entraînement? Et cette prostitution-là est plus pardonnable cent fois et moins repoussante qui pousse une pauvre fille à vendre son corps pour avoir du pain, que celle décorée du nom de mariage de convenance, qui n’a pour but et pour cause qu’un cachemire ou des perles, ou une voiture. Et c’est pour cela, Magdeleine, que vous m’abandonnez ? (Sous les Tilleul 1832 tome I)

On pouvait être artiste ou écrivain, quand ces deux métiers, placés hors la loi et le droit des gens, faisaient de ceux qui s’y livraient des parias et des hommes maudits, parce qu’alors il fallait y être jeté comme malgré soi et par une véritable vocation. Mais aujourd’hui que tout le monde est artiste et écrivain, que les arts sont une spéculation, que tout le monde fait son livre, qu’un capitaliste fait marcher de front les constructions et les œuvres d’imagination; qu’il vous dit: Mes affaires vont bien ; mon pont suspendu sera livré à la circulation dans trois jours, et mon drame est en répétition. Mon hache-paille à vapeur et mon roman sont à peu près terminés. Je crois que mon métier à filer le lin paraîtra avant mes élégies. Je fais un chemin de fer pour le gouvernement, et un recueil de chants d’amour pour le libraire ****. Il n’y a plus moyen de s’en mêler. Pour la peinture, on sait par cœur quelques mots : touché vigoureusement, qui n’a pas beaucoup de sens, clair-obscur, qui n’en a pas du tout, et on en farcit ses discours. On fait des taches noires à la place où on mettait une figure, et on se croit vigoureux; on fait les bras trop longs, les jambes trop courtes, on se dit hardi; on peint tout en jaune, et on prétend que c’est la couleur locale. En musique, on appelle la musique froide, nulle, insignifiante, musique savante, et on se pâme d’aise. On se crispe, on pleure, on crie sur des beautés de convention; des musiciens même qui ont du talent s’amusent à faire des difficultés : ils jouent du violon sur une seule corde, au lieu d’employer leur talent à donner plus d’expression à leurs quatre cordes, ou à en inventer une cinquième. Ils font des difficultés de telle sorte, que la musique, au lieu de parler à l’âme en passant par les oreilles, a besoin d’être vue et parle aux yeux; il faut s’étonner et admirer que le musicien joue sans balancier, on a peur de le voir tomber. Comme si les arts devaient étonner plus qu’émouvoir. (Sous les Tilleuls 1833 tome II)

Seul dans mon jardin, au bord de la mer, je suis souvent des semaines, parfois un mois entier sans échanger un seul mot avec une créature vivante. Ne vous représentez pas cependant une solitude morose : outre le spectacle toujours si splendide et si varié de la mer, du ciel, des arbres et des fleurs, j’ai rassemblé autour de moi la meilleure société qu’il soit possible d’imaginer ; les plus grands, les plus brillants esprits de tous les siècles, sans négliger les plus gais, et toujours «entrain», toujours jeunes parce que immortels, toujours bien portants et vigoureux : A savoir mes livres. (Le siècle des microbes 1891 édition posthume)

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier.

2 réflexions sur “Alphonse Karr

  1. Très attirée par le 19ème siècle et ses écrivains (je lis Maupassant depuis toute petite), je vous remercie pour cette belle chronique.

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    1. Cela me fait très plaisir. C’est vrai que mon blog est consacré à ce XIXe siècle que j’étudie depuis longtemps et qui me surprend et me fascine toujours plus. Je devrais commencer une série de conférences sur divers sujets liés à ce siècle dans les semaines qui viennent.

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