Enthousiasme ou Endoctrinement
(1ère partie)
Je ne suis pas mouton,
ce qui fait que je ne suis rien
Stendhal
Lorsqu’éclate la guerre en août 14, ces générations de jeunes hommes, élevés à l’école de la Troisième République, sont-ils prêts à en découdre avec l’envahisseur, avec l’ennemi que l’on doit bouter hors de France, à qui l’on doit reprendre les sœurs perdues ? S’enthousiasment-ils à l’idée de l’aventure qui les attend ou sont-ils endoctrinés au point de ne plus réfléchir sur leur situation, leurs actes ?
Certains pensent que la guerre est un jeu d’aventures, une période de liberté absolue : « En quelques heures, la guerre a tout bouleversé, mis partout cette apparence de désordre qui plaît tant aux Français. Ils partent sans haine, mais attirés par l’aventure dont on peut tout attendre.»1 L’aventure, que ces fils de bonne famille ont rêvé de vivre sans jamais pouvoir déroger aux règles socio-familiales, que ces fils de paysans n’ont pu connaître obligés qu’ils étaient de travailler la terre, que ces fils d’ouvriers ont négligé pour pouvoir manger ou aider leur famille, était donc un moyen d’échapper à toute emprise familiale ou professionnelle : « Il fait très beau. Vraiment, cette guerre tombe bien au début du mois d’août. Les petits employés sont les plus acharnés : au lieu de quinze jours de vacances, on va s’en payer plusieurs mois, aux frais de l’Allemagne, visiter du pays.»2, les vacances, une idée qui plaît bien et que l’on retrouve dans Une Soupe aux Herbes sauvages d’Emilie Carles : « Il y en avait qui prenait cela à la rigolade : « Ça va nous faire des vacances en plein été. » ». Toute une jeunesse étudiante, ouvrière ou paysanne qui voit dans ce conflit un moyen de rompre avec le quotidien, des vacances avant d’entrer dans une vie formatée d’adulte responsable. Joë Bousquet, qui devance l’appel de quelques mois, l’écrira, bien des années plus tard à Carlo Suarès : « Rien de plus prémédité que ce coup de tête. Je savais où j’allais, les risques qu’il y avait à courir ; et je ne trouvais pas d’autre issue à une situation morale qui me semblait chaque jour plus étouffante. ». Envie de vivre sans contrainte, sans responsabilité, juste obéir et jouer avec sa vie, avec la mort, vivre des émotions intenses : « …C’est grande douceur, à dix-huit ans, de s’en aller au pas d’un bon cheval, vers l’armée, et de se dire : « Je suis libre de m’associer à tout ce que j’aime et admire. Rien ne me retient plus. Je laisse derrière moi que deux affections profondes qui me poussent sans faiblesse, et devant moi s’étend un domaine exaltant où je veux risquer ma vie pour la rendre plus belle…Beauté amie de la nature, douceur de l’automne, et qui sait si je reverrai le printemps ? » C’est la musique des départs pour la vie. » comme le clame Philippe Barrès, de façon exaltée et romantique ! En effet, ces émotions, une vie déjà toute tracée ne peut que les étouffer : reprendre le flambeau familial pour beaucoup, devenir ce que son milieu social attend de soi, fonder une famille, tout cela ne pouvait tenter ces garçons de 18 ou 20 ans ! Bousquet, encore une fois se dévoile : « Il me fallait ce réactif pour comprendre que j’étais peu fait pour partager sa vie » faisant allusion à une jeune femme divorcée par amour pour lui et exigeant le mariage : il préférait se faire tuer, pour cette raison, il accepta avec fougue la mission sacrifice qui lui était proposée. Ayant reçu une balle dans la colonne vertébrale, il sera sauvé malgré lui, par ses hommes : « Quelques hommes ont couru vers moi, refusant, malgré mes ordres, de m’abandonner. Plusieurs fois, je leur ai dit qu’ils me sauvaient en vain et qu’il valait mieux m’abandonner sur ce plateau où la nuit tombait vite maintenant couvrant l’avance de plus en plus rapide de l’ennemi. J’ai été emmené malgré moi, complètement inerte déjà… » Il aurait préféré mourir en héros, être pleuré par la femme qu’il fuyait et ainsi être libéré du fardeau d’une vie bien rangée ! Antoine Rédier3, officier réserviste, se souvient de sa jeunesse et du désir d’émotions fortes : « J’avais vingt ans, [….] un soir, je conversais, […] avec un camarade et nous souhaitions la guerre. […] Nous trouvions la vie molle et cherchions le moyen de rendre du courage aux hommes de notre temps et à nous-mêmes, qui ne valions pas mieux que les autres. […] – A cela, mon ami, un remède : s’en aller la poitrine nue, devant les baïonnettes prussiennes. – Et se laisser défoncer ? – Non pas. On les défonce, mais on a porté son corps au-devant de la mort. Alors on ne trouve plus que le bonheur est de bien dormir, mais de vivre hardiment. Ainsi le culte de son épiderme avilit l’homme et, quand sa peau a affronté le fer et le feu, il redevient un être noble. » Ennui de la jeunesse qui voit avec effroi se profiler une vie sans « épines et sans parfum. »
Leur jeunesse les pousse à confondre leurs désirs et la réalité qui est à ce moment précis l’entrée en guerre de la France, moyen aussi commode qu’un autre pour changer d’atmosphère. Léon Werth, dans Clavel soldat, rapporte le témoignage d’un jeune homme de vingt-cinq ans, heureux et insouciant : « Il est tout semblable à la plus joyeuse légende des vieilles guerres dans les vieux livres. Il est tout préoccupé de la pèlerine en caoutchouc beige qu’il vient de s’acheter à Nancy. « C’est très commode, ça se roule dans le sac, et la nuit, on couche dedans. » Employé de commerce, qui n’a connu que le bureau, la semaine, des parties de billard le dimanche, la guerre est pour lui la première villégiature. Pour la première fois, il vit comme un riche, sans souci d’argent. Loin, le travail qui fatigue la tête, parce qu’il est monotone et continu. ». Dans la même tranche d’âge, Georges Oudard4, âgé de vingt-quatre ans, sorti de l’adolescence, à l’aube de sa vie d’adulte, a une attitude quelque peu différente : la guerre devient, pour lui et pour ceux de sa génération, un moyen d’aborder la vie sous un autre angle que celui qui était prévu, c’est aussi un moyen de finir de se viriliser, un peu comme les rites initiatiques dans les civilisations primitives. Il reconnaît que son attitude, lors de la mobilisation, est liée à la nouvelle vie qu’il a décidé de vivre avec sa compagne : après une vie de luxe, superficielle et mondaine, une vie simple, studieuse et sérieuse. Pour cette raison, il hurle avec les loups tout en se rendant compte de la supercherie : « Egoïste naïf, je confondais le cas de la France et mon propre cas et, me souvenant en hâte de discours écoutés et tenus chez les Clerf-Lorandin, je me lançai dans une furieuse diatribe contre le luxe insensé et le dévergondage de cette époque corrompue. « L’heure est venue de payer » conclus-je » Allant jusqu’au bout de son rôle, il ira jusqu’à renier son ami antimilitariste fougueux et convaincu et apprenant son arrestation, il a cette phrase terrible : « Ils ont bien fait, déclarai-je avec un accent à la Fouquier-Tinville. » Ces attitudes sont parfaitement résumées, toujours chez Oudard, par l’inventeur pacifiste : « Vous n’êtes que des gamins, marmotta l’inventeur. Des gamins qui vont mourir, releva M. Lordier. »5 Des gamins certes, dont la plupart avait été appelés deux ans auparavant, aussi quand éclate la guerre, les généraux, disposent-ils avec la conscription, d’armées nombreuses et de soldats non professionnels.
En effet, le 21 mars 1905, tandis que les révolutions, manifestations, grèves surgissent en Russie, en Allemagne, en Suisse, au Tibet, que naît la SFIO, que des tensions éclatent dans les colonies entre France et Allemagne ( la crise de Tanger), que des traités tentent de se mettre en place : rencontre de Björkö entre Guillaume II et Nicolas II, qui signent un accord défensif et d’assistance mutuelle entre l’Allemagne et la Russie, le gouvernement de Maurice Rouvier instaure le service militaire obligatoire pour tous les citoyens mâles et pour une durée de deux ans, sur le modèle allemand. La caserne devient alors l’école du patriotisme et de la démocratie, elle entreprend une mission éducatrice d’autant qu’elle réunit la presque totalité d’une classe d’âge masculine. Pour mieux influencer ces jeunes hommes, la Ligue de l’Enseignement inspire la mise en place de Foyers du Soldat, pour mieux retenir les appelés au sein de la caserne ! Dès 1901, plusieurs circulaires ministérielles fixèrent de nouvelles règles pour l’instruction militaire, instaurant des salles de lecture et de récréation, favorisant des enseignements divers comme la morale individuelle et collective, l’initiation à la vie politique et économique. En 1911, les appelés instituteurs de l’enseignement primaire encadrèrent l’instruction des illettrés du contingent selon la circulaire du 10 octobre 1911 qui impose de donner une instruction élémentaire à tous les hommes. Ainsi ces jeunes hommes étaient-ils re-scolarisés, infantilisés pour mieux être prêts à jouer à la guerre ! C’est pourquoi Galtier-Boissière ne se leurre pas, il sait que ses deux années de service militaire l’ont marqué au point d’avoir envie de partir tuer : « Depuis de longs mois, les chefs ont façonné, en vue du combat, notre esprit et notre corps. Jusqu’à ce jour, l’énergie qui bouillonne en nous ne s’était dépensée qu’en simulacres stériles et souvent risibles; aujourd’hui, ce n’est plus la petite guerre, c’est la vraie, la grande qui commence, et tous, nous sommes parfaitement satisfaits et joyeux d’aller exercer le métier que nous apprenons depuis deux ans. Enfin ! Nous allons viser autre chose que des silhouettes en carton, à cinquante mètres, tirer de vraies cartouches, pointer notre baïonnette autrement que pour éventrer de grotesques mannequins ! » D’autres, comme, Aimé Boursicaud, reçoivent la nouvelle de la guerre comme un fardeau : « J’allais bientôt touché à mes vingt-deux ans. Je comptais déjà m’être acquitté d’une partie de ma dette envers la patrie, mais hélas l’heure sonna où il fallut que je réponde présent à l’appel de mon nom pour prendre place parmi ceux qui devaient verser leur sang pour la France. »
Il faut dire que les nouvelles lois, votées depuis quelques années, sur le service militaire permettait à la France d’avoir une armée jeune et bien fournie en effectifs. Le document suivant est très clairement explicatif, il est extrait de la Revue Internationale d’Histoire Militaire publiée sur Internet par l’Institut de stratégie comparée, la Commission française d’histoire militaire, l’Institut d’histoire des conflits contemporains :
La conscription à l’épreuve de la Grande Guerre, 1913-1918 : Pour la première fois depuis 1872, l’idéal et l’organisation de la nation armée, conçue en temps de paix, sont mis à l’épreuve durant quatre ans. Pour subvenir aux exigences de la guerre totale, plusieurs modifications sont adoptées et, au final, renforcent la relation entre la nation et l’armée. Les bases du recrutement : Les bases de la conscription, en août 1914, reposent sur la nouvelle loi sur le recrutement de l’armée adoptée le 7 août 1913. Proposée par le ministre de la guerre en mars 1913, celle-ci porte surtout sur le rétablissement de la durée du service militaire à trois ans, et satisfait aux conditions du plan XVII du général Joffre adopté le mois suivant, qui demande une armée de masse renforcée en effectifs. Cette disposition traduit en fait l’importance que certains militaires et une partie de la droite accordent aux troupes du service actif, disponibles et déjà présentes dans les casernes. En allongeant la durée du service militaire, ce ne sont plus deux classes d’âge mais trois qui sont appelées sous les drapeaux. La force immédiatement disponible en cas “d’attaque brusquée” s’en trouve renforcée. En revanche, les réserves, en théorie rappelées en cas de mobilisation, sont considérées comme des troupes de faible valeur militaire, composées de bons pères de famille. Les socialistes ont une conception de la nation armée toute différente. Ils n’acceptent pas le service de trois ans. Écartant l’idée d’une “attaque brusquée”, ils refusent de déconsidérer la place des réserves dans l’organisation de la nation armée. La discussion sur l’adoption de la loi des “trois ans” divise la classe politique pendant plusieurs mois. Dans la presse et à la Chambre, entre février et août 1913, puis pendant la campagne des élections législatives de 1914, elle suscite des débats passionnels sur la conception du citoyen dans la défense de son territoire. La nouvelle loi reconnaît les principes de la précédente loi de 1905. “Tout Français doit le service personnel” indique l’article 1. “Le service militaire est égal pour tous” précise l’article 2. L’égalité et l’universalité des obligations militaires sont donc préservées. Les principales modifications concernent la durée du service militaire, fixée à trois ans, et l’âge d’appel, réduit de 21 à 20 ans. Plus de trois cent milliers de jeunes gens se font recenser et examiner en 1914. Plus des deux tiers d’entre eux sont ensuite incorporés en octobre. Lorsqu’intervient l’ordre de mobilisation générale en août 1914, une véritable armée de masse se met en place par la mise sur le pied de guerre des classes 1911 à 1913, déjà présentes dans les casernes, auxquelles s’ajoutent toutes les classes de la réserve, de la territoriale et de la réserve de la territoriale. La conscription devient alors un véritable instrument de la guerre totale.
Les généraux avaient donc à disposition, dans les casernes, des soldats prêts à en découdre avec l’ennemi de la patrie, sans compter tous les réservistes qui avaient appris le métier pendant deux ans et qui avaient été formatés de la même façon que leurs cadets. Ce qui aboutit à des villes de garnison surchargées, envahies par les soldats : « Une cohue de soldats emplissait Narbonne habillés moitié en civil, moitié en militaire, on ne savait plus où caser tout ce peuple accourant avec une exactitude qui déconcertait les autorités militaires elles-mêmes, s’attendant à compter les réfractaires, les déserteurs par centaines. Mais docilement tous s’empressent de venir enchaîner leur liberté, se courber sous le joug militariste. »6s’étonne Barthas et il continue : « Narbonne c’est la multitude de soldats emplissant les hôtels, les cafés et remplissant aussi les bourses des traitants. » Mais il s’interroge aussi sur la volonté militaire d’appeler tous les hommes en même temps, il trouve une réponse : « Malgré le vide produit par le départ de ces trois régiments, c’est à peine si les rues se désencombrèrent de pantalons rouges. Pourquoi appeler la même semaine, le même jour, dix fois plus de soldats qu’il n’en fallait et arrêter ainsi la vie sociale si brusquement ? N’eût-il pas été plus simple, plus sensé d’appeler chaque classe au fur et à mesure des besoins ? Mais non, le militarisme méfiant s’était jeté sur le peuple comme sur une proie, il l’avait attiré à lui pour le tenir sous le carcan de la discipline ; qui sait si le peuple pourtant si docile ne se serait pas ressaisi, le premier moment de stupeur passé ? »
En revanche, en juin 1915, l’enthousiasme est légèrement tombé : les lettres ont commencé à raconter, les morts et les blessés sont dans toutes les familles et Gabriel Chevallier, dans La Peur, écrit : « Dix mois après ceux de 14, nous partîmes pour le front, en faisant bonne contenance, et la population, un peu blasée, nous fêta encore très honorablement parce que nous n’avions guère que dix-neuf ans. ». Jean Bernier aussi ne connaît pas le délire de la foule de août 1914 : « Pêle-mêle, pères et mères, badauds et gosses, escortèrent les soldats jusqu’à la gare, par désœuvrement martial ou bien de tout leur cœur. ». Quant à Zacharie Baqué,7 après un séjour à l’hôpital, de nouveau sur le départ, il écrit à sa femme, en juillet 15 : « …j’ai vu comment se font les départs maintenant. Le public est blasé, cela se conçoit. Néanmoins partir au milieu de l’indifférence générale me ferait mal au cœur. » L’on est loin des scènes de liesse de la mobilisation !
Mais certains, plus sensibles ou plus à l’écoute du monde dans lequel ils vivaient, ont ressenti avant même de partir l’angoisse de la guerre sans que cela ne les empêche de faire leur devoir jusqu’à la mort comme Paul Lintier8 qui, malgré une blessure handicapante du bras, reviendra au Front pour se faire tuer ! Voici ce qu’il écrit dans ses souvenirs écrits sur le vif et publiés pendant la guerre juste après sa mort : « Lorsque le train démarre, j’ai comme un éblouissement. Il me semble que quelque chose se rompt dans ma poitrine. Une brève angoisse m’étreint. Reviendrai-je ? Oui ! Oui ! J’en suis sûr. Mais pourquoi en suis-je sûr ? … »9 Et puis il y a ceux qui s’interrogent sur leur rôle, leur devoir et leur possible mort dans cette guerre. C’est le cas d’Antoine Redier10, qui, face à ses questionnements, admire un jeune St Cyrien qui, enthousiaste et prêt à mourir pour atteindre la gloire, chante, sans état d’âme, un sonnet connu par tous les St Cyriens : La Gloire
Voulant voir si l’École était bien digne d’elle,
La Gloire, un jour, du ciel descendit à Saint-Cyr
On l’y connaissait bien ! Ce fut avec plaisir
Que les Saints-Cyriens reçurent l’Immortelle.
Elle les trouva forts. Ils la trouvèrent belle.
Après un jour de fête, avant de repartir,
La Gloire, à tous voulant laisser un souvenir,
Fixa sur leur schako des plumes de son aile.
Et l’on porta longtemps le plumet radieux.
Mais un soir de combat, près de fermer les yeux,
Un Saint-Cyrien mourant le mit sur sa blessure
Pour lui donner aussi le baptême du sang.
Et depuis, nous portons, admirable parure,
Sur notre schako bleu, le plumet rouge et blanc.
Il ne faut pas oublier les insoumis et les voyous qui eux aussi partaient faire leur devoir, souvent d’ailleurs par obligation imposée mais quelquefois aussi par obligation morale et l’on peut lire dans Henry Poulaille que son oncle Henri, insoumis notoire, se rendit à l’appel de la Nation11 : « … son oncle Henri, […] était venu voir sa mère. Toi ! cria-t-elle. Mais v’là la guerre, t’es fou d’venir !… – Je viens te dire au revoir. Je vais me rendre à la Place. – Ah ! fit Magneux. – Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je risque d’être dénoncé tout à l’heure ou demain. Et comme ça fait quatre ans que je suis insoumis. Alors, je me rends à la Place et tout sera dit. Une fois incorporé, je me démerderai, ne t’en fais pas. Si j’avais des ronds, il y aurait peut-être d’autres solutions mais je suis sans un. – Oui, vaut mieux que tu partes, déclarait la grand’mère. Au moins, les gendarmes viendront pas m’emmerder. »
Voici certainement deux des raisons qui empêchèrent bon nombre d’hommes de déserter : le manque d’argent et la crainte que les siens soient ennuyés, interrogés et montrés du doigt. En ce qui concerne l’oncle de Poulaille, cela ne l’empêcha pas de rester insoumis, d’être condamné au bagne et d’être tué. Les marlous eux-mêmes partirent et firent leur « devoir », tout en gardant leur gouaille et leurs filles : certains, après la guerre, portèrent fièrement les tatouages qu’ils se firent faire dans les cantonnements, d’autres n’ont laissé leurs traces que par l’intermédiaire d’une lettre reçue alors qu’ils étaient déjà morts au combat : Mon petit Nono, C’est du bar du boul Mich’ que je t’écris. Autour de moi, il y a la Mariette, Pauline, Margot et Nénette ; toutes les copines, quoi ! On s’ennuie pas mal de vous autres, tu sais…Ce n’est pas qu’on ne trouve pas à faire, parbleu ! Avec tout ce qui circule dans Panam, faudrait être rudement godiche, mais ça ne vaut pas nos petits michons chéris, avec qui qu’on rigolait tant qu’on passait sur tout le reste. A présent, on a tout le reste mais on ne rigole plus. »12

1/ La Peur Gabriel Chevallier
2/ Ibidem
3/ Méditations dans la tranchée Antoine Rédier Librairie Payot et Cie 1916.
4/ Georges Oudard : né en 1889 à Paris, il est devenu journaliste après avoir participé à la Grande guerre et il a écrit divers ouvrages historiques (Pierre le grand, Vie de Law, Vieille Amérique, Cecil Rhodes, Croix gammée sur l’Europe centrale). Sa participation à la résistance lui a valu la Croix de guerre 1939-1945 et la Légion d’honneur, ainsi que la rosette de la Résistance. Il a été également, sous l’Occupation le fondateur de La France intérieure. Elu conseiller de l’Union française par l’Assemblée nationale, il présidera le groupe d’Union française et d’action sociale (UFAS), la nouvelle dénomination que prendra le groupe du RPF, le mouvement politique fondé par le général de Gaulle.
5/ Georges Oudard : Ma Jeunesse. Roman d’un homme d’aujourd’hui. Librairie Plon 1931.
6/ Les carnets de guerre de Louis Barthas Maspéro 1977
7/ Zacharie Baqué Journal d’un poilu Editions Imago, 2003.
8/ Paul Lintier : Ma Pièce
9/ Méditations dans la tranchée Antoine Rédier Librairie Payot et Cie 1916.
10/ Méditations dans la tranchée Antoine Rédier Librairie Payot et Cie 1916.
11/ Henry Poulaille : Pain de soldat : 1914-1917 en feuilleton à partir de 1936 dans le journal de la CGT : Le Peuple
12/ Lettres à des morts 1914-1918 : je t’embrasse pour la vie Editions cent pages : Cosaques 2009/
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