
Mars 1832 : le choléra est à Paris ! Laissons la parole à Alexandre Dumas père qui, dans Mes Mémoires, laisse un témoignage détaillé de cette période, d’autant qu’il faillit en mourir : « Cependant, la France suivait depuis longtemps avec inquiétude la marche du choléra. Parti de l’Inde, il avait pris la route des grands courants magnétiques, avait traversé la Perse, gagné Saint-Pétersbourg, et s’était rabattu sur Londres. Le détroit seul nous séparait de lui. Qu’était-ce donc que la distance de Douvres à Calais pour un géant qui venait de faire trois mille lieues? Aussi traversa-t-il le détroit d’une seule enjambée. Je me rappelle le jour où il frappa son premier coup : le ciel était d’un bleu de saphir; le soleil, plein de force. Toute la nature renaissait avec sa belle robe verte et les couleurs de la jeunesse et de la santé sur les joues. Les Tuileries étaient émaillées de femmes, comme l’est une pelouse de fleurs; les émeutes, éteintes depuis quelque temps, laissaient un peu de calme à la société, et permettaient aux spectateurs de se hasarder dans les théâtres. Tout à coup, cet effroyable cri retentit, poussé par une de ces voix dont parle la Bible, qui passent dans les airs en jetant à la terre les malédictions du ciel. Le choléra est à Paris! On ajoutait Un homme vient de mourir rue Chauchat; il a été littéralement foudroyé ! Il sembla qu’à l’instant même un crêpe s’étendait entre ciel bleu, le soleil si pur et Paris. On fuyait dans les rues, on se pressait de rentrer chez soi, on criait : »Le choléra! le choléra! » comme, dix-sept ans auparavant, on criait » Les Cosaques ! » Mais, si bien qu’on fermât portes et fenêtres, le terrible démon de l’Asie se.glissait par les gerçures des contrevents, par les serrures des portes. Alors, on tenta de lutter contre lui. La science s’avança et essaya de le prendre corps à corps. Il la toucha du bout du doigt, et la science fut terrassée. Elle se releva étourdie, mais non vaincue elle commença à étudier la maladie. On mourait parfois en trois heures; d’autres fois, il fallait moins de temps encore. Le malade, ou plutôt le condamné, éprouvait tout à coup un léger frémissement puis venait la première période du froid, puis les crampes, puis les selles effrayantes et sans fin, puis la circulation s’arrêtait par l’épaississement du sang; les capillaires s’injectaient; le malade devenait noir et mourait. Seulement, rien de tout cela n’était positif; les périodes se suivaient, se précédaient, se mêlaient; chaque tempérament apportait sa variété à la maladie. Au reste, tout cela n’était que symptômes on mourait avec des symptômes, comme d’une maladie inconnue. Le cadavre était visible; l’assassin invisible! il frappait; on voyait le coup; on cherchait inutilement le poignard. On médicamenta au hasard comme un homme surpris par un voleur dans la nuit frappe au hasard au milieu de l’obscurité, espérant atteindre ce voleur, la science espadonna dans les ténèbres. En Russie, on traitait le choléra par la glace. Les attaqua présentaient des symptômes typhoïdes. On partit de ce point. Les uns administrèrent des toniques, c’est-à-dire du punch, du vin chaud, du bordeaux, du madère. Les autres, n’ayant en vue que les douleurs d’entrailles, traitèrent ces douleurs par les deux systèmes en présence à cette époque: ceux-ci par le système physiologique de Broussais, qui consistait à saigner les malades, et à leur mettre des sangsues sur l’estomac et sur le ventre traitement qui avait pour but de combattre la maladie dans sa nature inflammatoire, ceux-là par les opiacés, les calmants, les adoucissants, l’opium, la belladone, l’hellébore, c’était combattre sinon la maladie, du moins la douleur; d’autres, enfin, essayaient de réchauffer par les bains de vapeur, les frictions, les fers brûlants. Quand la période de froid était attaquée à temps, et qu’avec une réaction énergique, on parvenait à la vaincre, le malade, en général, était sauvé. Toutefois, on n’en sauvait pas un sur dix ! […] Le fléau frappait de préférence sur les classes pauvres, mais n’épargnait pas les riches. Les hôpitaux s’encombraient avec une effroyable rapidité. Un homme tombait malade chez lui deux voisins le posaient sur une civière, et le portaient à l’hôpital le plus rapproché. Souvent, avant d’arriver, le malade était mort, et l’un des porteurs, sinon tous les deux, prenait sa place sur la civière. Un cercle de visages épouvantés se formait autour du mort; un cri retentissait au milieu de cette foule, un homme, une de ses mains à sa poitrine, l’autre à ses entrailles, se tordait comme un épileptique, tombait à terre, se roulait sur le pavé, devenait bleu, et expirait. La foule se dispersait terrifiée, levant les bras au ciel, tournant la tête en arrière, fuyant pour fuir, car le danger était partout; elle ne comprenait rien aux distinctions que les médecins établissaient entre ces trois mots : épidémique,– endémique,– contagieux. Les médecins étaient des héros ! Jamais général sur le champ de bataille le plus sanglant ne courut dangers pareils à ceux auxquels s’exposait l’homme de science debout au milieu de l’hôpital, ou allant par la ville de lits en lits. Les sœurs de charité étaient des saintes, parfois des martyres. Les bruits les plus étranges couraient, venant on ne savait d’où, et étaient répétés par le peuple avec des imprécations et des menaces. On disait que c’était le gouvernement qui, pour se débarrasser d’un surcroît de population encombrant Paris, faisait jeter du poison dans les fontaines et dans les brocs des marchands de vin. Paris.semblait atteint de folie; ceux-là mêmes à qui leur fonction faisait un devoir de le rassurer l’épouvantaient. […] Le peuple ne demandait qu’à ne pas croire à la présence de la peste cet ennemi invisible qui frappait du sein des nuées l’irritait par son invisibilité. Il se refusait à croire que l’on mourût d’un empoisonnement aérien, par un ciel si pur, avec un soleil si radieux. » J’arrête là l’extrait mais l’on ne peut être que frappé par la similitude avec ce que l’on vit aujourd’hui en 2020 : 188 ans plus tard ! L’on placarda des affiches pour avertir les populations des précautions à prendre, certes elles étaient moins modernes que les nôtres mais l’esprit était bien là.

Certains auteurs comme Eugène Roch, auteur célèbre à l’époque et aujourd’hui oublié, ont l’audace de voir dans le choléra une punition divine contre ce peuple incroyant, révolutionnaire et vicieux : « Tous ces malheureux meurent dans l’impénitence, mais la colère du Dieu de justice va croissant et bientôt chaque jour comptera son millier de victimes. Le crime de la destruction de l’archevêché de Paris est loin d’être expié. » D’autres comme Louis Blanc tentent de décrire ce qui arriva alors dans Paris : » Le 26 mars 1832, la fatale maladie avait atteint dans la rue Mazarine sa première victime. Presqu’aussitôt, elle se déclara dans plusieurs quartiers au faubourg Saint-Antoine, au faubourg Saint-Honoré, au faubourg Saint-Jacques. Le 29 mars, les passants ne s’abordaient plus qu’avec ces mots : le choléra morbus est à Paris. Dans les premiers moments, la terreur parut moindre que le danger. La peste venait surprendre les Parisiens au milieu de la fête de la mi-carême ; et l’intrépide gaieté du caractère français sembla d’abord braver le fléau. Dans les rues, sur les boulevards, les masques circulèrent comme de coutume. La foule des promeneurs était nombreuse. On se montrait du doigt, suspendues devant les magasins d’estampes, des caricatures dont le choléra-morbus avait fourni le sujet. Le soir, les théâtres se remplirent de spectateurs. Il y eût des jeunes gens qui, par un raffinement d’audace, se livrèrent à des excès inaccoutumés. « Puisque nous devons mourir demain, disaient-ils, épuisons aujourd’hui les joies de la vie. » La plupart de ceux-là passèrent du bal masqué à l’Hôtel-Dieu, et succombèrent, le lendemain, avant le coucher du soleil. Du reste, le courage des plus téméraires ne tarda pas à céder aux horreurs de la maladie et à tout ce qu’on en racontait. Car le malade était cadavre, avant même d’avoir perdu la vie. Sa face maigrissait avec une promptitude extraordinaire. On comptait ses muscles sous sa peau, devenue subitement noire, bleuâtre. Ses yeux étaient excavés, secs, réduits de moitié, et comme retirés à l’aide d’un fil vers la nuque et dans l’intérieur du crâne. La respiration du malade était froide, sa bouche blanche et humide, son pouls d’une faiblesse extrême. Sa parole était un souffle. »
Et d’un seul coup le gouvernement s’occupa d’assainir Paris, en effet le choléra morbus fut le déclencheur des grands travaux parisiens sous Louis Philippe, qui devinrent titanesques sous Napoléon III et son préfet Haussmann. En effet Paris était alors un labyrinthe de ruelles médiévales, d’immeubles délabrés et insalubres dans lesquels s’entassaient des familles pauvres, misérables, sous alimentées, ces familles que Victor Hugo décrit si bien dans Les Misérables et dont Balzac dit : « peuple horrible à voir, blême, jaune, hâve et tanné. »(La Fille aux yeux d’or) Ces travaux frappèrent les esprits par la rapidité avec laquelle ils furent décidés et commencés : « Sous le coup de cette effroyable maladie, l’administration prit les mesures d’urgence. On s’occupa de l’assainissement de la ville. On songea enfin à faire entrer un peu d’air et de lumière dans ces quartiers fangeux où l’on avait sans remords laissé vivre et mourir le pauvre, quand tous n’étaient pas encore menacés. Le nombre des bornes-fontaines fut augmenté ; les ruelles les plus étroites, les plus infectés, furent pavées et fermées ; des travaux rapides nettoyèrent les immondices de l’île Louviers; des ambulances s’élevèrent ; sur la décision prise par la commission centrale de salubrité, on créa dans chaque quartier un bureau de secours, auquel furent attachés des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des garde-malades, et dans lequel on eut soin de réunir divers ustensiles, des médicaments et des brancards. Les prisons ne furent pas oubliées, et M. Gisquet fit distribuer aux détenus des aliments plus abondants et des vêtements plus chauds. » écrit Louis Blanc et il continue en montrant l’incurie d’un gouvernement qui n’avait pas fait et ne faisait pas ce qu’il fallait pour contrer ce fléau : « Ajoutez à cela que les mesures prises n’étaient pas de nature à mettre l’autorité à l’abri de tout reproche d’imprévoyance. MM. Londe, Allibert, Dalmaz, Sandras, Dubled, Boudard, membres de la commission médicale envoyée en Pologne pour y étudier le choléra, ne furent appelés par l’administration que sur les réclamations qui s’élevèrent dans quelques feuilles publiques. Les bureaux de secours, qui auraient dû être organisés à l’avance, ne s’établirent que successivement et au plus fort du trouble causé par l’invasion de la maladie. On remarqua que le bienfait des travaux de salubrité avait manqué aux 11e et 12e arrondissements. Le charnier des Innocents, foyer d’une infection continuelle, n’avait pas cessé de rester ouvert tout le jour et une partie de la nuit. Le coin des rues de Saint-Denis et de la Féronnerie était obstrué par les étaux des marchandes de poisson. Dans plusieurs mairies, on ne trouva, pour constater les décès, ni assez d’employés, ni assez de registres. Enfin, l’hôpital temporaire du grenier d’abondance ne devait recevoir les cholériques que longtemps après l’apparition du fléau. Il s’attaqua, d’abord, aux classes pauvres, et les feuilles de la cour s’empressèrent de constater les prédilections de la peste, en enregistrant les noms et les professions des victimes, soit pour dissiper les craintes des heureux, soit pour flatter leur orgueil.Toujours est-il que ce furent des hommes en veste ou en haillons qui ouvrirent cette horrible marche de Paris vers la mort. » Mais me direz vous, ce discours vient de l’homme qui écrira « Le Nouveau Monde« , ouvrage qui contient cette phrase célèbre : « la féodalité territoriale et militaire a disparu, il faut que la féodalité financière disparaisse. (…) La royauté de l’argent, l’aristocratie de l’argent, voilà bien effectivement ce qui est en question » (Attention, il n’était pas pour autant sur la même ligne que Marx).
Dans un extrait du fameux Journal des Débats, journal conservateur, seuls sont touchés les travailleurs qui vivent dans des conditions insalubres : « Le choléra morbus est dans nos murs. Hier, un homme est mort rue Mazarine. Aujourd’hui, neuf personnes ont été portées à l’Hôtel-Dieu et quatre sont déjà mortes. Tous les hommes atteints de ce mal épidémique, mais que l’on ne croit pas contagieux, appartiennent à la classe du peuple. Ce sont des cordonniers, des ouvriers qui travaillent à la fabrication des couvertures de laine. Ils habitent les rues sales et étroites de la Cité et du quartier Notre-Dame. »Mais le choléra fit aussi irruption chez les bourgeois et il y fit des morts parmi lesquels des personnalités politiques comme Casimir Périer, banquier et président du Conseil sous Louis Philippe, ou le Général Lamarque, symbole de la République et dont les funérailles en juin 1832 furent à l’origine de l’insurrection de 1832, insurrection qui voulait renverser la Monarchie de Louis Philippe et qui fut réprimée dans le sang. A la différence du peuple, la bourgeoisie avait les moyens de se faire soigner à domicile ou bien de fuir Paris pour la Province, c’est ainsi qu’ils y apportèrent le choléra. Mais les pauvres, c’est-à-dire, la population parisienne la plus importante (420 000 soit 60% des Parisiens) se retrouvent à l’hôpital, c’est la classe la plus touchée ainsi que l’avait prévu le Docteur Villermé en 1824 : » J’ai établi que quand les maladies sont une fois développées, elles sont plus souvent mortelles chez les indigents que chez les gens aisés. » et les hôpitaux furent débordés !

Voici quelques chiffres et quelques actions gouvernementales : Du 26 mars au 30 septembre, le choléra tua 18 402 personnes, dont 12 733 pour le seul mois d’avril. Les hôpitaux de Paris connurent un afflux considérable de 12 661 malades dont le quart pour le seul Hôtel-Dieu. La mortalité y était effroyable, de l’ordre de 45 %. 1100 médecins exerçaient dans Paris dont certains, les médecins des pauvres, soignèrent, sans honoraires, les familles les plus démunies. Le corps médical fit appel à 5 000 étudiants en médecine. Le 10 avril, au plus fort de l’épidémie, il y eut jusqu’à 848 morts. Et pour aider les services des Pompes funèbres débordés, on chargea les cadavres sur des fourgons d’artillerie. Et comme il se doit les politiques, les bourgeois habitués à faire la charité se montrèrent auprès du peuple pour rassurer ou calmer. En effet, le peuple du Faubourg Saint Antoine, haut lieu des révoltes, placardait des affiches qui parlaient clairement à toute cette classe exploitée : « Le choléra est une invention de la bourgeoisie et du gouvernement pour affamer le peuple… Aux armes !… » On comprend mieux pourquoi le gouvernement fit tirer sur le peuple lors de l’insurrection de juin 1832 ! Il y eut aussi des mutineries dans la prison de Sainte Pélagie, enfin l’on disait insurrections à l’époque et le gouvernement en profita pour faire fusiller quelques détenus politiques : cela n’arrangea en rien l’opinion que s’était faite le peuple sur le lien entre le gouvernement et le choléra. Opinion renforcée par des mesures de police sanitaire : fermer les ruelles les plus insalubres, destruction des logements les plus insalubres…le peuple y vit une loi pour la protection des riches, eux qui se retrouvaient sans rien, une fois qu’on les avait chassés de leurs logements. Devant cette colère, le gouvernement s’empressa de distribuer des vivres et des vêtements.
La médecine dut faire face à cette épidémie avec les moyens qu’elle avait, elle fit des recherches, essaya de comprendre. Le docteur Broussais, sommité médicale de l’époque, vite oublié après sa mort en 1838, écrit : « Le choléra (est) une maladie essentiellement mortelle ; la nécessité d’un traitement (est) si évidemment démontrée qu’il est préférable d’en employer un mauvais que de n’en faire aucun. », les médecins tentaient donc toutes les méthodes afin de trouver la bonne, certains allèrent jusqu’à s’inoculer le sang des malades pour prouver la non contagiosité du choléra car seuls 10 médecins moururent du choléra. D’ailleurs jamais aucun médecin, même au plus fort de la colère des Parisiens, ne fut pris à partie même lorsqu’ils clamaient que l’ivrognerie était le facteur qui favorisait la fréquence des cas chez le peuple. En fait c’est un médecin-chef lillois qui résume le mieux le désarroi face à cette épidémie : « Notre ignorance demeure sur la nature du mal, comme sur sa cause, sur son mode de propagation, et notre incertitude sur le traitement curatif. » Cette épidémie de choléra prit définitivement fin en septembre 1832.
Le 26 mars 1832 mourait la première victime du choléra, rue Mazarine. 188 ans plus tard, une pandémie affole le monde mais qui peut rester impassible devant l’inquiétante similitude des faits, des gestes, des actions…
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