Qui n’aime pas lire ou écouter les potins sur des personnalités connues ? Cela soulage quelquefois ou empire d’autres fois la colère qui gronde en nous devant l’injustice de traitement des connus et reconnus face aux riens comme dirait notre président de la République.
Ce phénomène n’est pas nouveau, loin de là ! La jeunesse s’imagine sans doute qu’il a fallu la création des réseaux sociaux pour connaître ce qui se passait dans les coulisses du pouvoir, du spectacle …
L’envie de cracher sur la société dans laquelle on vit mal est une chose qui remonte à l’Antiquité chez les Grecs avec Aristophane, chez les Latins avec Juvénal, Le Roman de Renart au Moyen Age, Rabelais au XVIe siècle, Boileau au XVIIe siècle, les philosophes des Lumières au XVIIIe siècle, quant au XIXe siècle la liste est longue…. Et la satire a encore de beaux jours devant elle.

Quant aux pamphlets, à la manière des marazinades, ils firent la joie des lecteurs depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle.

Mais revenons aux potins, aux commérages, aux clabauderies, aux cancans : je trouve ces mots croquignols, ils expriment si parfaitement l’art de gloser. Le Mercure Galant, revue fondée en 1672, est considéré comme l’ancêtre de la presse mondaine, qui, on le sait tous, vit de notre curiosité malsaine ou morbide ou coquine. Les articles étaient présentés sous forme de lettres écrites par le rédacteur à une dame.

Mais attention, il ne faut pas confondre la presse mondaine, née sous Louis Philippe, qui se fonde sur des chroniques, et la presse people, née à la fin du XIXe siècle avec L’Illustration et l’Excelsior (le plus haut, le plus élevé). qui repose essentiellement sur des photos achetées à prix d’or à des paparazzis (les moustiques bruyants).
Mais ce sont principalement les chroniques potinantes qui m’intéressent. En 2023, les réseaux sociaux relayent ces revues hebdomadaires qui faisaient fureur dans ma jeunesse. Ainsi je me souviens d’un de ces magazines, toujours dans les kiosques aujourd’hui, Jour de France spécialisée dans les échos de la vie des célébrités qui se prennent pour des stars internationales, de la vie des reines et des princesses de pacotille qui pensent faire encore rêver le peuple. Depuis 1954, cette revue, malgré un arrêt de près de 20 ans, a pour unique but de faire croire au peuple que ces sommités du néant ont des vies passionnantes, trépidantes, altruistes, éreintantes, parfois même douloureuses … Dois-je rappeler qu’elle fut fondée par Marcel Dassault, le richissime vendeur d’armes.
En 1836, Emile de Girardin, celui qui fonda le journal La Presse dont il réduit de 50% la souscription, dans lequel il insert un grand nombre de publicité, et surtout le roman-feuilleton, et l’on trouve dans ce journal les premières chroniques mondaines écrites par son épouse Delphine de Girardin, née Delphine Gay et voici ce qu’écrivait Théophile Gautier, dans Portraits et souvenirs littéraires à son propos : « Vers 1836, Madame de Girardin, sous le transparent pseudonyme du vicomte de Launay, commença ce fameux Courrier de Paris qui fit naître depuis tant d’imitations plus ou moins malheureuses. Elle le poursuivit jusqu’en 1848 avec une verve toujours soutenue, une finesse d’observation toute féminine, un bon sens tout viril. Que de pages charmantes qui resteront parmi les meilleures de la langue, que de détails en apparence frivoles, et déjà presque historiques ! Quelle mine inépuisable pour les romanciers de l’avenir, lorsqu’ ils voudront peindre cette époque ! Elle est là, en effet, tout entière, semaine par semaine, avec ses mœurs, ses modes, ses ridicules, ses tics, ses façons de parler, ses engouements, ses folies, ses fêtes, ses bals, ses soirées intimes, ses commérages, jugée par cet élégant vicomte dont la badine cingle si bien et qui semble posséder le lorgnon magique d’Edgar de Lorville, tant il devine aisément la pensée vraie à travers les babillages menteurs. Ces Lettres parisiennes, écrites au courant de la plume, éparpillées aux quatre vents de la publicité, sont peut-être l’œuvre la plus sérieuse de l’auteur, et c’est là que vont de préférence le chercher ceux qui l’aiment. »

Et Arsène Houssaye se souviendra d’elle dans ses Mémoires : « Quelques années après, à une fête du comte Duchâtel, je me retrouvai face à face avec elle ; les femmes la fuyaient à cause de ses chroniques, les hommes avaient peur de causer avec elle, si bien qu’elle m’accueillit avec un charmant sourire. […] La causerie prit un caractère de raillerie, parce que Mme de Girardin ne pensait qu’à sa chronique ; aussi il fallait voir comme en quelques traits elle caricaturait ceux et celles qui passaient devant nous. J’avais espéré pénétrer l’énigme de la femme, mais j’eus beau la prendre, par-ci par-là, je ne trouvais que la Muse et la chroniqueuse. — ou plutôt la déesse. »
Delphine était une femme du monde, une femme à la mode qui tenait un salon dans lequel se retrouvait tout le monde politique, artistique, littéraire … Son jugement était attendu et estimé : « Avec quelle grâce elle maniait l’encensoir d’or, sachant y mettre toujours le parfum préféré, et ne le cassant jamais sur le nez de l’ idole ! Quel divin plaisir c’était d’ être loué par elle ! Lamartine, Victor Hugo, Balzac le savent , et d’ autres qui le méritaient moins sans doute. » écrivait Gautier.
Voici un extrait de ce que furent ces chroniques que l’on croirait écrites aujourd’hui ! J’ai choisi celle dans laquelle notre belle chroniqueuse décrit les achats pour les étrennes (aujourd’hui pour Noël) et se réjouit de la disparition d’un canapé qui fut à la mode : « Ce qu’il y a de plus étrange dans les rues , c’est ce mélange d’activité et de silence. On marche vite pour se réchauffer, et puis chacun tient à la main un paquet quelconque les uns portent un âne en carton dont les oreilles indiscrètes percent le papier gris qui les enveloppe ; ceux ci d’un air très sérieux emportent un grand cheval de bois ; celui-là enlève une poupée ; cet autre un chien ou un mouton, et tous se hâtent et vous heurtent en passant ; on dirait que le joujou qui les charge est attendu par un être qui ne peut vivre sans lui. Les boutiques sont encombrées, on ne peut ni entrer chez Susse ni en sortir. Si quelque objet vous séduit, on vous répond : Il est vendu. Alors on vous offre d’un air gracieux quelque chose de laid, d’abominable, dont personne n’a voulu, et vous achetez à la hâte un objet qui vous déplaît pour sortir de cette foule où par malheur vous avez reconnu beaucoup d’amis ; car il y a encore une sorte de pudeur dans le choix des étrennes qu’on veut offrir : on n’aime pas que les indifférents le connaissent et l’apprécient, et qu’une personne puisse dire à la femme à laquelle vous aurez offert une écritoire ou un album : Oh ! je le lui ai vu acheter chez Giroux ; il l’a payé soixante quinze francs .
Les pâtés ne sont plus de mode ; on garde ceux qu’on a, mais on n’en fait plus. Le pâté, non pas celui de Strasbourg, ni celui de Toulouse, ni celui de Chartres, ceux-là seront toujours en crédit, c’est une dignité inamovible ; -le pâté en question est cet amas de divans qui se trouve dans tous les grands salons frappés d’anglomanie ; quatre divans réunis par un même dossier, espèce de quadrille d’ennemis où les huit danseurs assis se tournent le dos. Nous ne regrettons point cette mode malgré ce qu’elle avait de fashionable. Rien de moins sociable : vous ne pouviez dire un mot à droite qu’on ne l’entendît à gauche ; et pourtant la conversation générale était impossible ; le moyen de causer ensemble quand on ne se voit pas ! Vous n’étiez jamais seul et jamais plusieurs ; ce n’était pas toujours celui à qui vous parliez qui vous répondait ; et puis si vous aviez un mot à dire à une personne placée de l’autre côté du dossier, vous vous trouviez entraîné malgré vous à des attitudes beaucoup trop naïves, à des poses qui faisaient beaucoup trop valoir vos gracieuses proportions ; la morale gagnera sans doute à l’abolition du pâté. »
Vous me direz, Madame de Sévigné aussi écrivait sur tout ce qui se passait. Oui mais elle correspondait avec sa fille, l’idée de publier ces potins dans ce que l’on appelait alors une gazette, n’était pas encore née.
A suivre …
Tous droits réservés : Jeanne Bourcier