Encore une fois notre société a été devancée par le XIXe siècle qui avait aussi cette envie de se repaître de ce qui est différent, de ce qui gêne, de ce qui dérange. Et comme il assumait ce genre de turpitude morale, les spectacles d’exhibition d’êtres différents de ces Français voyeurs se multiplièrent. J’ai choisi parmi ces personnages celui que l’on surnomma Tom Pouce. C’était ce que l’on appelait alors un lilliputien.

Taylor Barnum et Tom Pouce

Il est né en 1838 dans le Connecticut et dès l’âge de 4 ans il est recruté par le fameux Barnum qui en fera une célébrité internationale et changera son nom Charles Sherwood Stratton en Tom Pouce, en référence au conte des Frères Grimm. En 1863, ayant atteint la taille de 1.02 m, il épouse une lilliputienne, Mercy Lavinia Warren Bump, connue sous le nom de Lavinia Warren, cela fera la une des journaux.

Lavinia Warren 1841-1919

Ils furent évidemment présentés aux souverains anglais :

Mais je laisse la parole à Théophile Gautier, qui le vit sur scène et qui n’est pas très tendre ni pour ce genre d’exhibition, ni pour Tom Pouce lui-même :

Le Général Tom-Pouce au Théâtre du  Vaudeville.

Il y aurait de charmantes pièces à faire avec les contes de Perrault ; mais il faudrait pour cela des poètes et non des vaudevillistes. Ludwig Tieck, dans son Petit Chaperon-Rouge et son Chat botté, a montré quelles ressources offraient ces délicieux récits dont ne peut se lasser l’admiration naïve de l’enfance et l’admiration raisonnée de l’homme fait. La Fontaine l’a dit et il s’y connaissait :

Si Peau d'Ane m'était conté
J'y prendrai un plaisir extrême

Voyez le délicat ! Peau d’Ane, c’est-à-dire le chef-d’œuvre de l’esprit humain, quelque chose d’aussi grand dans son genre que l’Iliade ou l’Enéide.

Ce que les faiseurs, quelque habiles qu’ils soient, entendent le moins, c’est le fantastique. Ils n’y comprennent rien ; la logique qui leur aide à construire des armatures de pièces régulières et capables de soutenir un corps dramatique leur fait ici défaut. Le fantastique n’a pas de motifs et ne s’explique pas. Il est par ce qu’il est ; comme tout un mystère, il exige la foi.

MM. Clairville et Dumanoir, gens d’esprit à coup sûr, ne croient ni à l’ogre ni aux bottes de sept lieues : ils croient peut-être au Petit-Poucet puisqu’ils ont vu Tom-Pouce, mais voilà tout : aussi leur pièce est-elle pleine d’irrévérence et d’ironies. Il y manque la conviction, la terreur et la pitié. Les sinistres paroles de l’ogre : « Je   sens la chair fraîche !  L’échange des couronnes d’or et des bonnets de coton n’ont pas produit l’effet d’épouvante et d’horripilation qu’on était en droit d’en attendre, plusieurs lazzis d’un scepticisme imprudent ayant donné à comprendre aux spectateurs que l’histoire de Petit-Poucet n’est peut-être pas des plus authentiques. Mais, sans chicaner plus longtemps MM. Clairville et Dumanoir sur l’esprit incrédule et protestant qui règne dans leur pièce, arrivons au héros de la soirée, au Général Tom-Pouce, qui a obtenu, nous sommes fâchés de le dire, un succès immense, colossal, pyramidal. A propos de Tom Puff, des Variétés, nous avons déjà formulé notre antipathie contre les exhibitions de monstres et de phénomènes ; ces curiosités médicales ne devraient pas, à notre sens, sortir des amphithéâtres et des bocaux d’apothicaires. Nous pensons que tout être où se trouve une parcelle d’âme doit être respecté. La nature se trompe quelquefois ; pourquoi l’exposer à rougir de ses erreurs et de ses avortements ? Que la triste mère de Tom-Pouce ait soin de sa pauvre poupée mal venue et la couche de bonne heure dans une boite à gants garnie de coton ; cela vaudra beaucoup mieux que de la faire courir sur les planches, au risque d’être écrasée par le pied d’un figurant distrait ; mais nous sommes à peu près seul de notre avis. Tom-Pouce est à la mode ; c’est le tigre de la saison : les femmes en raffolent ; les plus jolies posent sans dégoût leur bouche en fleur contre la joue bouffie du petit monstre, qui se vante d’avoir embrassé un million de femmes, et qui ne ment pas, comme c’est l’ordinaire de tout fat. Il disparaîtra un de ces jours sous une avalanche de bouquets et de bonbons. Nous sommes incapable, en la perturbation que le nouveau système a jeté dans nos idées de mesure, de vous dire au juste le nombre de centimètres et de millimètres dont se compose la taille de Tom-Pouce. Le fait est qu’il est vraiment microscopique et n’arrive pas au genou d’une personne médiocrement grande. Il est bien formé, sauf la tête, qu’il a trop grosse, comme un très jeune enfant. On le dit âgé de treize à quatorze ans ; nous avons peine à le croire, il indique tout au plus six à sept ans. Le rôle qu’il joue n’a rien qui soit au-dessus de l’intelligence d’un bambin de cet âge. Le glorieux Fouyou, à peine sevré, se montrait déjà comédien de premier ordre. Les exercices de Tom-Pouce, dans la pièce du Vaudeville, se bornent, d’ailleurs, à fort peu de chose. Il passe entre les jambes d’une rangée de figurants, se fait traîner dans un sabot, change les bonnets de coton de ses frères contre les couronnes d’or des jeunes ogresses, tire les bottes de sept lieues, et, pour prix de ses services, reçoit du prince Bénin une boite meublée assez semblable à celle que fit construire à Gulliver le roi de Brobdingnag, et cet équipage d’azur, prospectus à quatre poneys, que chacun a pu rencontrer rue Vivienne, sur les boulevards ou aux Champs-Elysées. – Cette chambre miniature est la plus charmante bonbonnière qu’on puisse imaginer. Rien n’y manque : le lit, le canapé, les fauteuils, la toilette, la cheminée, le tout à la proportion du héros ; un vrai ménage de poupée à ressort. Une petite blanchisseuse de six à sept ans apporte le linge de Tom-Pouce ; le drôle, avec l’aplomb d’un Colin d’opéra-comique ou d’un vieillard d’orchestre, la lutine et lui prend la taille un peu au-dessus de la jarretière. Les mains n’atteignent pas plus haut, et, s’il est inconvenant, ce n’est du moins pas sa faute ; puis arrive un Figaro assorti qui lui fait la barbe qu’il n’a pas, avec une dextérité tout espagnole, et le remet aux mains de deux valets de chambre qui viennent de faire leurs dents. Tom-Pouce revêt un uniforme de général et sort pour passer la revue de ses troupes, car le prince Bénin l’a mis à la tête de son armée ; la revue achevée, il monte dans sa voiture pour se rendre à la cour où ses devoirs l’appellent.

THÉOPHILE GAUTIER. (Histoire de l’Art dramatique).

Le Général Tom-Pouce dans son intérieur.

L’appétit de Tom-Pouce est des mieux soutenus ; il mange à peu près de tout, mais il affectionne le roastbeef. Le jour où nous l’avons vu, il avait déjeuné avec une tranche de jambon, deux œufs à la coque, deux grandes tasses de thé accompagnées de leurs sandwichs et quelques menues friandises. Tel avait été son ordinaire. Le général ne boit pas de vin, il n’aime pas beaucoup la bière : l’eau, le thé et le café sont les boissons qu’il préfère ; il dort parfaitement et n’a jamais été malade. Levé à sept heures, il déjeune à huit ; après son repas, on lui fait prendre l’air, si le temps le permet ; de dix heures à midi, le général travaille avec son précepteur, il délivre de nombreux autographes, car Sa Hautesse sait parfaitement lire, et son écriture est charmante ; à midi il allait, ces jours derniers, au théâtre pour répéter son rôle ; de deux à quatre heures, il donne ses séances à la salle Vivienne ; là il chante d’une voix nasillarde et peu mélodieuse ; il change plusieurs fois de costume, puis il se promène triomphalement dans son équipage. De quatre à cinq heures, il dîne fort copieusement ; de cinq à sept, il dort, puis à huit heures, il se rend au Vaudeville pour jouer sa pièce. A dix heures et demie il se couche pour recommencer le lendemain le même train de vie. Du reste, il a le caractère le plus égal qu’on puisse voir ; toujours de bonne humeur, il cause volontiers et avec tout le monde.

Le Voleur, 1845. (Revue littéraire hebdomadaire)

Un dernier document provenant du fonds ancien de la bibliothèque interuniversitaire de santé prouve bien que la cruauté, la méchanceté étaient au rendez-vous comme aujourd’hui. J’ai l’impression en lisant cet article de voir les commentaires des réseaux sociaux concernant les femmes trop grosses, trop vieilles, trop maigres …

Ce dernier document provient d’un fonds ancien de la bibliothèque interuniversitaire de santé

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