Albert Delpit (1849-1893) : Romancier et auteur dramatique né à la Nouvelle Orléans, de nationalité américaine (il sera naturalisé Français en 1892, quelques mois avant sa mort), qui s’engagea comme volontaire pendant la guerre de 1870 et qui vit la Commune de près puisqu’il était l’aide de camp de l’Amiral Saisset, celui qui tenta une médiation entre Versailles et la Commune, médiation qui réussit mais qui fut désavouée par l’Assemblée Nationale dont les membres de droite et du centre s’opposaient systématiquement aux membres de gauche. Voici ce que Delpit écrit dans La Volonté nationale en 1871 : « Il n’est pas nécessaire, je crois, de prouver que la Chambre est monarchique jusqu’aux moelles : cela ressort clairement de tout ce qu’elle a dit et fait jusqu’à présent. Il suffit qu’un membre de la gauche prenne la parole, pour que le tumulte de la droite et du centre le force immédiatement au silence ; il pourrait dire quelque chose d’utile, de sensé, de logique, et il faut reconnaître que cela arrive souvent, mais peu importe, l’étiquette fait condamner le vase, sans qu’on se donne la peine de goûter, fût-ce des lèvres, la liqueur qu’il renferme. »

Alfred Delpit était un Républicain, il le confirme dans la préface de Huit Jours d’Histoire : Le commandement de l’Amiral Saisset écrit en 1871 :  » Nous le crûmes, et ceux d’entre nous qui, républicains, avaient eu un moment de secrète et immense joie en voyant tomber le régime impérial qu’ils détestaient, ceux-là, républicains honnêtes et convaincus, au nombre desquels nous nous mettons avec fierté, ne se lassèrent pas de lancer contre l’empereur Napoléon des injures coupables et injustes; coupables, parce qu’il était tombé, injustes parce qu’il était innocent. »

Il explique parfaitement dans son texte, d’abord paru dans le journal La Cloche, ce qu’il faisait auprès de Saisset ce 19 Mars 1871 et comment devenu aide de camp, il participa aux négociations entre l’Amiral, devenu général des Gardes Nationaux, et le gouvernement de Paris. Il donne sa version en jurant de ne dire que la vérité, pourquoi pas mais sachant qu’il était un grand ami et un disciple de Francisque Sarcey, je me permets de penser qu’il était quelque peu subjectif … Evitant d’être fusillé grâce à sa nationalité américaine, il ne porte pas vraiment la Commune dans son cœur, allant jusqu’à mettre l’échec de cette négociation sur « la faiblesse inconcevable de la municipalité de Paris. » Je vous invite à lire ce livret de 70 pages sur Gallica BNF.

Dans la Volonté nationale, Albert Delpit défend le suffrage universel et le plébiscite, revenant régulièrement sur la Commune, persuadé qu’elle ne fut provoquée que par des aventuriers :  » Quoi qu’on dise, en France comme partout, il n’y a que deux classes de gens : ceux qui sont honnêtes et ceux qui ne le sont pas. Les premiers s’inclinent toujours et en tout temps devant la volonté nationale; les seconds refusent de la reconnaître, et alors ils font éclater une insurrection comme celle de Paris. Mais chacun sait que, dès le 18 mars, des quatre coins de la France sont arrivés dans la grande ville tous ces aventuriers politiques qui veulent avant tout le triomphe de leur opinion, sans s’occuper de la majorité : on peut donc espérer que bien écrasés, bien vaincus maintenant, ils ne pourront pas se retrouver ailleurs pour s’insurger à nouveau contre la volonté nationale. »

Dans un autre de ses ouvrages : Les Prétendants : les Bourbon, les d’Orléans, l’Empire, la Commune, la République, Albert Delpit essaie de comprendre la politique et consacre tout un chapitre à la Commune dans lequel il s’attaque surtout à la bourgeoisie : « Maintenant, si nous cherchons à comprendre le mystère qui se cache sous l’insurrection des journées de juin et l’établissement de la Commune au 18 mars 1871, on y découvre un sentiment : la haine de la bourgeoisie ; une préoccupation : l’extinction du paupérisme. La bourgeoisie, en France, est viciée jusqu’aux moelles, et j’appelle bourgeois ceux qui ne sont nobles ni de nom ni d’intelligence (1). Nous avons étudié de près celte population bourgeoise de Paris, pendant les huit jours du commencement de la Commune, du 19 au 25 mars : jamais nous n’avons vu lâcheté pareille ! Lorsque parut sur les murs une affiche blanche, signée de noms inconnus ou flétris, ces hommes dirent en la lisant : « Si nous en essayions? » Ni la force de la résistance, ni la franchise de la soumission. Que voulait dire pour eux ce mot: la Commune ? Ils l’ignoraient. Les gens de l’Hôtel-de-Ville sont des assassins que nous ne défendrons pas, parce qu’il nous déplaît d’être l’avocat de ceux qui ont répandu à flot le sang innocent ; mais il faut reconnaître qu’ils étaient encouragés, dans leur tâche, par la faiblesse de la population et la lâcheté du gouvernement. Si le peuple de Paris avait eu un peu d’énergie, rien de ce qui s’est passé n’aurait eu lieu : que le sang versé retombe sur les trembleurs et sur les fuyards!
« Qu’y avait-il au fond de ce mouvement populaire ? Une idée sociale peut-être. En tous cas, périssent les idées qui débutent par l’assassinat, et finissent par le massacre et l’incendie! Il fallait un drapeau aux bandes qui le dirigeaient : ils ont choisi un mot, la Commune, quoique la fédération républicaine leur importât fort peu. Le premier malheur de cette insurrection a été d’avoir à sa tête des hommes tarés, et pas un esprit supérieur. Delescluze lui-même, est-il autre chose qu’un jacobin exalté, dont les idées étroites ne sont jamais sorties d’un cercle restreint ? Le second a été que le Prussien était en face de nous à Saint-Denis, riant de nos luttes sanglantes et de nos discussions séniles. Puis on ne peut pardonner à la Commune d’avoir voulu tuer dans toutes les âmes le sentiment de la Patrie qui constitue seul la force et la vitalité d’un peuple.
Pour moi je ne lui pardonne pas, et je la maudis dans son Internationale, repaire des assassins de toutes les nations. En effet, comme toutes les émeutes populaires qui n’ont pas le droit pour elle, la Commune s’est laissée déborder : à la place des hommes qui auraient pu imprimer un progrès sérieux au socialisme, sont venus ces êtres infâmes, sans nom et sans famille, que les révolutions font sortir du bagne ou de l’égout, et qui remontent à la surface pour empoisonner le tout !
Peuple ! peuple! ta cause est belle et grande, car tu représentes la justice et le travail ! Pourquoi enrayer toujours ta marche en avant par le sang que tu laisses répandre, et qui provoque les réactions ? Paris incendié est la page la plus terrible que cet écrivain qu’on nomme Dieu puisse écrire contre toi. Tu n’as pas compris que la modération valait mieux que la violence, et que tes exécutions secrètes, la nuit, entre les quatre murs d’une prison, te seraient toujours jetées à la face comme un reproche éternel. Peuple, crois-moi. Sois juste, puisque tu es fort. Le principe que tu représentes ne peut triompher que par le respect des lois : tes crimes, le sang versé, l’incendie qui s’allume, tout cela ne fera rien pour ta cause, car il n’est pas dans la nature des choses que la cruauté réussisse. » Retiens cette phrase, et, s’il se peut, ne l’oublie jamais. Qu’elle te serve de leçon pour l’avenir, et t’apprenne à respecter la vie humaine comme une chose sainte : nul n’a le droit de détruire, car nul ne peut créer !
Aussi, debout devant les ruines qu’a faites la Commune, l’historien a le cœur serré en se disant qu’un mouvement social qui aurait pu être si beau en étant pacifique, a dégénéré en tueries infâmes. Puis ce n’était pas l’heure des revendications, en face de notre pays ravagé, et de l’ennemi implacable. Et comme il faut bien se mettre d’un côté ou d’un autre, il aime mieux se placer à côté de ceux qui n’ont rien provoqué, et n’ont fait des exécutions que pour châtier des crimes sans nom.

(1) Nous avons raconté ailleurs (voir Huit jours d’histoire, un vol. in-18, chez Lachaud, éditeur) l’histoire du commandement de l’amiral Saisset, qui a tout fait pour comprimer la révolte.

Et cet écrivain prétendait être républicain et comprendre, défendre même les travailleurs. Vive la République ! On constate d’ailleurs chaque jour, ce qu’elle a engendré !

Tous droits réservés / Jeanne Bourcier

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