Oui, ce monde me fatigue de penser qu’il invente tout, de penser que rien avant lui, n’existait, que la vie telle qu’elle est n’existait pas ! Ce monde s’imagine que les gens vivaient en noir et blanc, qu’ils vivaient statiques comme dans les vieilles photos qu’il est à la mode d’éditer pour faire rêver le pékin. Lorsqu’un malin a l’idée de coloriser ces images, certains prennent enfin conscience qu’il existait de « vrais gens » qui portaient des vêtements de couleur mais la prise de conscience suprême vient de films colorisés datant de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe. Je ne comprends pas comment l’on peut être à ce point infatué de sa petite personne pour penser que la vie n’existe que lorsque l’on est vivant. Je ne comprends pas aussi ce que font les parents et grands-parents : ils ne parlent donc pas de leur passé, de leurs souvenirs, de leur famille, de ces gens qu’ils ont pu rencontrer et qui appartenaient à une autre époque ? Un gus de 20 ans aujourd’hui, ayant des grands parents âgés de 80 ans devraient avoir entendu parler de personnes ayant vécu à la fin du XIXe et au début du XXe ! Les gens ont-ils donc perdu la parole ? Sont-ils devenus bêtes au point de ne plus être capables de partager ce que tout le monde partageait autrefois, à savoir la mémoire familiale et collective. Se rendent-ils compte que cette attitude est néfaste et anxiogène pour les jeunes générations qui éprouvent, au fond d’eux, un besoin maladif de savoir ce qui se passait avant. Et cela leur fait toujours plaisir de savoir que des gens, avant eux, riaient, s’amusaient, dansaient, se rencontraient, vivaient, se révoltaient, critiquaient, votaient …

A tous ceux qui pensent que les émojis et objets cacas sont révolutionnaires et que nos années 2020 osent tout, je suis au désespoir de leur rappeler une petite anecdote qui prouve qu’ils ont tort. Gabriel Thyebaut, un des amis de J.-K Huysmans, était un docteur en droit et un pessimiste notoire qui a toujours su être « un raffiné ironique » et voici l’anecdote racontée par Huysmans : « Son voisin n’ayant plus de tabac, Th… lui passa obligeamment une blague en forme … mettons d’ordure, disant : « C’est ce qu’on trouve à acheter dans les bazars. Tel est le goût du jour. » » Et ce personnage possédait un petit musée dans lequel il réunissait tous les objets insolites qu’il pouvait glaner. Visiter ce musée aurait apporté de l’eau à mon moulin ! Et j’aurais pu mettre les photos d’une blague à tabac en forme « d’ordure » !

Tous droits réservés : Jeanne Bourcier

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